Gaston Kelman: Je suis noir et je n'aime pas le manioc Print
Written by Patricia Turnier   
Tuesday, 21 September 2010 15:52

Gaston Kelman, coll.  Fait et cause, 207 p. (mai 2005) 

Extraits de l'ouvrage Je suis noir et je n'aime pas le manioc:

« Alors mon brave, dit un officiel français à un émigré convalescent dans un hôpital de Bamako :  toi content repartir en France regagner sous!  Toi faire quoi en France?  - Je suis Professeur de littérature à la Sorbonne, monsieur »

« Un Noir, n’est-ce pas, ce n’est pas très intelligent ni très cultivé.  Il a certes de bons côtés :  il se nourrit de manioc, il est rieur, enfantin, doué pour la musique (sauvage et rythmée, pas classique) mais c’est surtout un sous-développé qui compense par un membre surdimensionné.  Tout le monde le sait » écrit l’auteur.

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Gaston Kelman est né au Cameroun en 1953.  Il est titulaire d’une licence bilingue de l’université de Yaoundé, il a poursuivi une partie de ses études en Grande-Bretagne et en France où il a obtenu un diplôme de troisième cycle en urbanisme.  Durant dix ans, il a occupé la fonction de directeur de l’Observatoire (urbain) du Syndicat d’Agglomération Nouvelle de la ville d’Evry et responsable de la maison des services publics de Courcouronnes pendant deux ans.  Il coordonne aujourd’hui un cabinet de conseil  et il milite activement pour l’intégration des migrants. L’auteur demeure en France depuis vingt ans et il se considère comme un Noir bourguignon.  Il dresse une analyse sociologique en exposant clairement les stéréotypes culturels véhiculés dans la société occidentale qui peuvent alimenter des attitudes sévèrement ancrées et des comportements néfastes.  L’écrivain utilise dans son ouvrage un humour palpitant tout en dénonçant la bêtise humaine.  Ce best-seller paru en 2003 (dont plus de 100 000 exemplaires ont été vendus) a suscité une immense polémique particulièrement en France.  Des libraires font des débats, des écoles en France inscrivent l’ouvrage au programme de concours.  L’éditeur a fait état de la presse étrangère, notamment américaine qui s’est questionnée sur cet homme noir réclamant une appartenance à un milieu culturel en faisant fi de ses origines africaines.  Les principales critiques ont reproché à l’auteur qu’il prônait l’«assimilationnisme» (pouvant mener à une aliénation) comme méthode d’intégration en France1.  Ceci rejoint les revendications des écrivains Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor concernant leur néologisme « la négritude » (concept forgé peu avant 1935 et contesté par certains) en réaction à l’oppression culturelle coloniale française visant à refuser d’une part le projet d’assimilation culturelle et d’autre part la dévalorisation de l’Afrique et de sa culture.   Le titre du bouquin a donc fait réagir certains lecteurs qui ont interprété cela comme un rejet de ses origines.  Pourtant le manioc, provient de l’Amérique Latine.  L’étymologie du vocable manioc prend sa source du tupi, langue indienne parlée au Brésil.

Sans renier ses racines camerounaises, l’écrivain Kelman se réserve le droit de se définir comme il l’entend.   Il refuse les prémisses stipulant que tous les Noirs sont pareils, qu’ils sont dotés des mêmes attributs ou qu’ils proviennent d’une tradition immuable tout en partageant des goûts identiques. En d’autres mots, il dénonce l’attitude du citoyen moyen (toute origine confondue) enfermé dans un atavisme amenant à percevoir l’autre à partir non de ce qu’il est, mais de ce qu’il devrait être, conformément à l’idée qu’on se fait de ses caractéristiques congénitales.  L’écrivain souligne qu’il arrive au Noir de participer à une vision réductrice de sa personne, en acceptant ce qu’on dit de lui, et en faisant une vérité de cela comme élément constitutif de son identité.  On sent également dans l’ouvrage, le militantisme de Kelman visant l’intégration des Noirs en France.  L’auteur aborde le défi de l’insertion sociale sous différents angles.  Tout au long du livre, l’écrivain partage ses états d’âme (basés sur ses expériences) sous forme d’anecdotes percutantes, humoristiques, pathétiques et parfois cruelles.  Il expose de façon critique et sans complaisance les bases du racisme ordinaire et il offre une réflexion intéressante sur la place  des Noirs dans la société française.  Ainsi, il dévoile la situation des immigrés noirs et de leurs descendants dans la France contemporaine en soulignant les délires, le racisme dissimulé et les blocages psychologiques.  Cet ouvrage ne représente pas une simple apologie de la «race» noire ou un réquisitoire contre la «race» blanche mais il s’agit d’un essai réaliste remettant en cause une idéologie dépourvue de discernement ou d’esprit critique.  Une réflexion sur les attitudes passées permet de mieux préparer celles qu’il serait adéquat de garder dans le futur.  L’auteur a donc proposé dans son bouquin ce qui pourrait représenter les clés d’un changement.

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Autres publications de l’auteur :

Blanche est ma sœur (13 mai 2005)

Au- delà du Noir et du Blanc (29 septembre 2005)

Les Blancs m’ont refilé un Dieu moribond (15 novembre 2007)

Parlons enfants de la patrie (16 mars 2007)

Mixité (s) avec les auteurs suivants :  Nancy Huston,  Baya Kasmi, Fadela Amara (22 mars 2007)

Les Hirondelles du printemps africain (12 mars 2008) 

CD audio : 

Anciens combattants africains :  des visages et des mots pour mémoire avec Philippe Guionie (18 avril 2006)

 

L'ensemble des oeuvres de Kelman sont disponibles sur www.amazon.fr ou.ca 

 

Cette critique (portant sur le livre Je suis noir et je n'aime pas le manioc) a été diffusée entre autres en Afrique en février 2010

 


 

1 L’auteur a répondu aux principales critiques dans son livre Au-delà du Noir et du Blanc sorti le 29 septembre 2005