Accueil Entrevues Entrevue exclusive avec l'une des plus talentueuses et brillantes documentaristes/productrices/actrices canadiennes: AYANA O'SHUN
Entrevue exclusive avec l'une des plus talentueuses et brillantes documentaristes/productrices/actrices canadiennes: AYANA O'SHUN PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Monday, 23 October 2023 00:00

Ayana O’Shun née Tetchena Bellange est une Montréalaise d’origine haïtienne.   Elle provient d’une mère infirmière et d’un père chimiste.  Elle est issue d’une famille de  deux enfants.  Elle a fait toutes ses études au Québec.  Ayana O’Shun a obtenu ses diplômes: en cinéma à l’Université de Montréal ainsi qu’en marketing et commerce international aux HEC.  Elle a également une formation de jeu d’acteur auprès de différents professeurs dont Danielle Fichaud et Warren Robertson, reconnu pour avoir coaché l’actrice américaine Jessica Lange.

Madame O’Shun est une femme d’action. Elle s’intéresse à beaucoup de choses. Elle a pratiqué diverses activités dont le ballet classique (pendant plusieurs années), le ballet jazz, les danses latines, la danse sociale, la danse africaine et le yoga. Elle a visité de nombreux pays ce qui lui a permis de devenir multilingue. Ainsi, elle parle le français, l’anglais, le créole, le portugais et se débrouille en espagnol. En sus, elle a pris des cours de japonais. Citoyenne du monde et polyglotte qu’on pourrait appeler Miss Monde Ayana O’Shun a visité une vingtaine de pays. Ceci lui permet d’être remarquée à l’étranger. Ainsi, elle fut la muse du Festival de Films Panafricain de Cannes entre 2012 et 2015.

En tant qu’actrice, elle a joué dans plusieurs productions télévisées et cinématographiques: La Chute de l’empire américain de Denys Arcand, Les Révoltés de Fabienne Larouche, À cœur battant avec Roy Dupuis, The Day After Tomorrow avec Terrence Howard, Les Beaux Malaises, The Day after Tomorrow avec Dennis Quaid, Da Kink in My Hair, Un cargo pour l’Afrique, Cassy, District 31, etc.

Ayana O’Shun a occupé plusieurs fonctions. Elle a œuvré pendant quelques années à Téléfilm Canada dans le département de télévision comme analyste en investissement. Elle a été consultante pour une série télévisée de TVA qui est diffusée cet automne, il s’agit de l’émission Les Révoltés avec Sarah-Jeanne Labrosse. Il y a quelques années, Ayana O’Shun s’est retrouvée parmi les lauréats de « La Table de l’Histoire des Noirs de Montréal » pour sa contribution dans le milieu artistique. De plus, en 2019 au Banff World Media Festival elle a été l’une des créatrices sélectionnées au Canada pour le programme “Netflix Diversity of Voices”. Elle a fondé il y a quelques années avec sa sœur la compagnie de production Bel Ange Moon Productions Inc.: https://bam-oshun.com/.

En 2010, Ayana O’Shun a coproduit avec sa sœur le docu-fiction Les mains noires-Procès de l’esclave incendiaire http://www.mainsnoires.com portant sur l’esclave Afro-Canadienne Marie-Josèphe Angélique (née au Portugal et arrivée en Nouvelle-France en 1725 à 20 ans).  Elle a sa sujétion et a été accusée d’avoir mis le feu à une grande partie du Vieux-Montréal même si elle était restée pour aider les sinistrés. Le film a été diffusé sur Radio-Canada et RDI. Ce documentaire a été présenté en première mondiale au Festival des Films du Monde de Montréal. Par la suite, il a circulé dans une quarantaine de festivals. L'ensemble des acteurs et historiens ont été interviewés dans le documentaire. Il s’agit d’une approche originale utilisée par O'Shun en tant que documentariste qui mêle l’aspect théâtral dans son art. Elle affirme donc un nouveau style dans ce domaine. On apprend dans le film des choses intéressantes sur l'histoire de l'époque du siècle des lumières. Par exemple, quand les 45 maisons avaient été incendiées au 18ième siècle, il n'y avait pas de pompier. On voit dans le documentaire l'acte d'accusation de Marie-Josèphe Angélique aux archives. On pouvait condamner quelqu'un seulement sur la base de la rumeur publique en vertu de la loi criminelle de 1670. En outre, dans le cas d'Angélique le témoignage d'une fille de 5 ans, Marie Amable Lemoine Monière a suffi pour la sanctionner et le procès s’est déroulé très rapidement. Au moment de la condamnation, l’esclave appartenait à Thérèse de Couagne de Francheville (avant elle était la propriété légale de son mari qui mourut par la suite en 1733). Cette dernière était la tante par alliance du témoin, mademoiselle Monière. Pour Marie-Josèphe Angélique son procès représentait une lutte de David contre Goliath. Elle a été pendue et brûlée après devant une foule. À l’époque, personne n’a défendu Marie-Josèphe Angélique. Cette dernière n’a vendue personne même si son amant était un coaccusé. Son compagnon Claude Thibault était ainsi officiellement accusé mais on ne l’a jamais retrouvé après sa fuite. Il importe de noter que le documentaire n’est pas passé inaperçu. On a l’a mentionné sur le site Internet de l'encyclopédie canadienne.

Il faut indiquer que sur tout le continent américain l’esclavage des Noirs a existé. Concernant le Canada, des loyalistes (comme la famille du politicien américain James DeLancey) ont amené leurs esclaves en Nouvelle-Écosse au 18ième siècle lors de la guerre d’indépendance des États-Unis. C’est d’ailleurs notamment dans cette province que l’on retrouve le plus de Noirs autochtones dans le pays. Les instruments juridiques mis en place comme le Code noir ont permis de réduire les Noirs au statut d’objet et de sous-hommes. Il s’agissait d’un système de contrôle économique, social et racial établi pendant des siècles régissant tous les aspects de la vie. Il y a eu aussi l’esclavage des Amérindiens. D’ailleurs dans le documentaire Les mains noires on voit le personnage d’une esclave des Premières Nations.

Il importe aussi de souligner que la cousine de madame O’Shun, Josianne Blanc est la narratrice de Marie-Josèphe Angélique: Montréal en feu de l’émission radiophonique Fort et libre Épisode 3 diffusée par Historica Canada. Madame Blanc y a mentionné une phrase percutante: « l’histoire des Noirs est celle de l’histoire du Canada ». La réalisatrice Ayana O’Shun a été interviewée pour ce programme fort intéressant que vous pouvez écouter à la suite de l’entrevue ci-dessous. On y entend également les historiennes Denyse Beaugrand-Champagne et Dre Afua Cooper. Il est fascinant de voir plusieurs talents dans la famille de madame O’Shun. Il sera très intéressant de voir dans le futur ce que la réalisatrice, sa sœur et leur cousine feront.

Il est captivant dans le DVD Les mains noires de voir O'Shun interviewer (comme une journaliste) diverses personnes telles que les historiens Paul Fehmiu-Brown1 (le feu père de l’animateur de télévision Philippe Fehmiu) et Dre Dorothy Williams. Le choix de ces Afro-historiens est très intéressant car ils représentent des Noirs autochtones. La plupart de ces Noirs Canadiens ont des ancêtres qui se sont installés dans le pays depuis des siècles (comme aux États-Unis) et ils vivent à Halifax. Ils brisent le mythe que les Noirs seraient des nouveaux arrivants. Ces historiens susmentionnés ont donné un prenant éclairage sur Marie-Josèphe Angélique.

Des beaux endroits du Québec ont été choisis pour filmer le documentaire Les mains noires. On observe donc que le film a été fait avec soin. Le documentaire a été le film d’ouverture de l’Annual African Diaspora Film Festival à Chicago après avoir été très bien reçu à New York. Cette soirée d’ouverture était commanditée par la délégation du Québec et la renommée DuSable Heritage Association. Il importe de noter que Jean Baptiste Pointe du Sable était un Haïtien du 18ième siècle qui a fondé Chicago. Il est intéressant de voir comment ce film a dépassé les frontières et a suscité une attention à l’étranger. Les mains noires sont considérées comme un docu-film.

En 2011, Ayana O’Shun a reçu le prix Dikola au Festival international du film panafricain de Cannes pour le documentaire Les Mains noires. Ce dernier a fait partie du Festival ReelWorld, Festival des films Afro- Caraïbes, Festival International de Cinéma Vues d’Afrique, etc. Il a aussi remporté le Prix du « Meilleur Film Étranger » au Festival Écrans Noirs de Yaoundé (devançant des pays comme l’Allemagne, la France et l’Espagne) au Cameroun.

En 2007, Marie-Josèphe Angélique a été innocentée officiellement car on a reconnu qu’il n’y avait aucune preuve pour l’avoir condamnée. Depuis le 20 février 2012, proche de la station de métro Champ-de-Mars à Montréal, un endroit a été nommé Place Marie-Josèphe Angélique.

Le documentaire basé sur une pièce de théâtre (produite par madame O’Shun en 2009 dans le cadre du 275e anniversaire de l'exécution de l’esclave) a été présentée à plusieurs endroits au Québec. Madame O’Shun a incarné le rôle d’Angélique. L’histoire de Marie-Josèphe Angélique a été occultée au Canada. Si on ne connaît pas le passé, on ne peut comprendre les réalités du présent.

Ayana O’Shun a réalisé en 2010 un court-métrage percutant nommé Médecins sans résidence traitant de la discrimination systémique envers les médecins étrangers au Québec. Il ne s’agit pas de faire une faveur à ces médecins mais ceux-ci sont autant citoyens que les autres, ils paient leurs taxes, etc. Ils sont compétents puisqu’ils ont passé tous les examens requis mais ils rencontrent une fermeture pour faire leur résidence. Madame O'Shun est une jeune documentariste courageuse pour avoir fait un documentaire sur cette importante problématique. L’intelligence n’a rien à voir avec la classe sociale, le genre, l’âge ni l’origine ethnique. Par exemple, une jeune afro-américaine de 14 ans, Alena Analeigh Wicker est rentrée en médecine l’année dernière. Récemment, l’Afro-Canadienne Grace Patricia Dennis est devenue à l’âge de 12 ans la plus jeune diplômée universitaire du pays2. J’aurais pu rentrer à l’université à la fin de mon adolescence mais mes parents voulaient que je me retrouve avec des jeunes de mon âge. Actuellement, aux États-Unis il y a environ 220 étudiants universitaires âgés de 14 à 17 ans. Il n’existe donc pas de race, genre, ethnie, âge détenant le monopole de l’intelligence. En sus, au Québec en moyenne il coûte un million de dollars afin de former un médecin ce qui n’est pas le cas concernant les étrangers car plusieurs ont acquis une éducation à l’extérieur.

Le documentaire traite des obstacles systémiques et institutionnels empêchant des médecins formés à l’étranger d’exercer au Canada même quand ils ont obtenu une attestation de compétence des autorités médicales canadiennes. Le documentaire traite surtout de la difficulté à trouver un lieu pour faire leur résidence. Il existe des facultés universitaires qui s’occupent de trouver des stages pour leurs étudiants et ceux-ci ont même le choix entre plusieurs endroits. De plus, il y a même la possibilité de faire son stage à l’étranger. À cet égard, la responsabilité n’incombe pas à ces futurs professionnels de trouver leurs lieux de stages. Peut-être que cette façon de procéder devrait être appliquée aux facultés de médecine. Il faut mentionner que d'autres personnes qui ont les compétences pour devenir un médecin rencontrent des obstacles à titre d’exemple, les handicapés. Aux États-Unis, seulement deux personnes non-voyantes sont devenues des médecins. L’an dernier, en Amérique, 8.3% d'handicapés ont reçu un entraînement en médecine et 3.1% parmi eux pratiquent3. Il doit y avoir une égalité au niveau des opportunités. Au Québec en 2019, il manquait 1400 médecins4.  Le court-documentaire Médecins sans résidence, produit par l’ONF (Office national du film du Canada) et réalisé par Ayana O’Shun a été le plus regardé sur le site web de l’ONF durant au moins plusieurs semaines.

J’ai parlé dernièrement à un sans-abri qui m’a confié qu’un médecin l’a emmené manger dans l’un des plus beaux restaurants montréalais avec son épouse (il a pu choisir ce qu’il voulait dans le menu. Il n’a évidemment pas exagéré). Pour moi, c’est cela un vrai médecin ce que j’ai d’ailleurs communiqué à l’itinérant. Un réel médecin doit être philanthrope, posséder l’intelligence émotionnelle et rationnelle.  Environ 5% des sans-logis arrivent à s'en sortir.  Cela signifie qu'ils doivent avoir accès à beaucoup plus de ressources. L’espérance de vie des sans-abri est courte, en France par exemple elle était en moyenne de 48.5 ans en 2021 d’après le Collectif les morts de la rue. Souvent, ils vieillissent physiquement de façon accélérée. Certains sans-abri deviennent amputés à cause du froid. Pour toutes ces raisons entre autres ils ne vivent pas longtemps. Il existe dans le monde des équipes médicales ambulantes leur venant en aide. La France le fait par exemple5. Dernièrement, j’ai perdu mes clés et c’est grâce à un ange, un sans-abri que j’ai pu les ravoir. Il m’a rendu un grand service en m’évitant de payer des centaines de dollars pour remplacer les serrures de mon domicile, etc. sans compter toutes les contrariétés que cette situation aurait causées. Le sans domicile fixe était poli, il m’a demandé de l’argent après m’avoir remis les clés. Je lui en ai donné. Il était aussi consciencieux en s’assurant que les clés soient récupérées par la bonne personne en me demandant de décrire le trousseau. J’ai été très touchée par cette histoire http://www.megadiversite.com/md-tv/255-2023-08-31-14-06-35.html (que j’ai d’ailleurs racontée à plusieurs personnes) dans le passé sans savoir que personnellement dans le futur un sans-abri m’apporterait une aide précieuse. Dans la vie, il n’existe pas de gens qui ne servent à rien, tout le monde peut apporter son soutien.

Nous vivons à une belle époque permettant de mettre ensemble toutes les connaissances mondiales y compris scientifiques qui donneront la possibilité de progresser davantage. Par exemple, dans le passé notre chroniqueur pour la santé, un grand cardiologue américain dans la partie espagnole de notre site a reçu via notre webmag trilingue le dossier médical d’un enfant de l’Amérique du Sud envoyé de la propre initiative par la mère. Le cardiologue est intervenu pro bono. Il est touchant de voir ce qu’une mère peut faire pour sauver ses enfants. Elle sera prête à soulever des montagnes pour les protéger. Avec la télémédecine et la mise en commun des connaissances scientifiques à travers le monde beaucoup de choses pourront être réalisées dans le futur et les gens compétents ne devraient pas avoir de barrières pour avoir accès au domaine de leurs choix. Sinon, il s’agit d’un grand recul pour l’humanité.

Les acteurs qui font du théâtre sont parmi les meilleurs. Ayana O’Shun s’implique aussi dans ce domaine. De cette façon, elle a joué le rôle d'une infirmière pour la pièce de théâtre de Denis Bouchard (qui joue un ancien professeur en sciences politiques) intitulée Le dernier sacrement au Théâtre Outremont situé dans l’un des plus beaux quartiers de Montréal. Après, Madame O’Shun a voyagé à travers le Québec en 2018 pour présenter cette pièce. Son premier rôle au grand écran en tant qu’actrice a été pour Boys 3.

 

L’an dernier, Ayana O’Shun a produit avec sa sœur Bianca Bellange (aussi comédienne) le documentaire Le mythe de la femme noire via Bel Ange Moon Productions. Elle a présenté son dernier documentaire à Télé-Québec à l'émission Deux hommes en or et Rosalie. Elle a aussi apparu à la très populaire émission québécoise de la société d’État Radio Canada, Tout le monde en parle pour présenter son brillant, éducatif et profond documentaire ne laissant personne indifférent. L’animateur Guy A. Lepage de ce programme a déclaré qu’O’Shun qui souhaitait avec son film faire éclater les stéréotypes concernant les Noires, a définivement réussi. La fameuse revue québécoise pour femmes Châtelaine a fait l’éloge du film durant le mois de l’histoire des Noirs cette année et madame O’Shun a accordé une entrevue au magazine. Des grands médias comme le quotidien La Presse a écrit sur Le mythe de la femme noire. Une critique de ce film a aussi apparu au renommé journal Le Devoir.  Suite à la sortie de son documentaire, l’hiver dernier plus précisément le 24 février 2023, elle a eu l’honneur de signer le Livre d’or de Laval (la troisième plus grande ville au Québec) en présence du maire, Stéphane Boyer.

Faisant partie de la génération X/hip-hop je suis une cinéphile depuis l’âge de 4 ans et pour la première de ma vie j’ai payé 14$50 pour voir un film. Je tiens à mentionner que je n’ai aucunement été déçue en visionnant le documentaire. Étant enfant à une époque où l’on voyait des femmes faire des choses non traditionnelles comme par exemple dans le domaine musical avec le groupe Klymaxx qui était composé de femmes noires (dont l’une faisait partie des premières rappeuses) jouant entre autres des instruments, il est évident qu’un documentaire comme Le mythe de la femme noire a suscité mon intérêt. En outre, il est spécial que l’on parle du rap dans ce long-métrage car en 2023 on fête mondialement le cinquantième anniversaire de ce style musical. Lorsque le public voit le film, il peut être porté à partager après son expérience personnelle ou exprimer ce qu’on leur a rapporté. Ceci s’est souvent passé lors des séances questions-réponses après le visionnement du film.

Le titre du documentaire est très bien choisi et délibérément au singulier. L’étymologie du vocable « mythe » est grecque, il s’agit du terme muthos qui signifie le récit, la fable ou de façon générale ce qui est transmis verbalement. Cela se rapporte à des constructions strictement imaginaires et souvent simplistes ou réductrices. Le documentaire s’inscrit dans l’intersectionalité, néologisme créé et théorisé par la juriste afro-américaine (en 1989) Kimberly Crewshaw qui concerne l’inclusivité des diverses problématiques vécues par les femmes noires et tout ce qui englobe l’humanité de ces dames. L’intersectionalité permet d’analyser de manière nuancée les conditions de vie de ces femmes.

Dans les médias, la réalisatrice a amené des points très importants et intéressants concernant la fausseté de ces stéréotypes. Par exemple, les esclaves de descendance africaine la plupart du temps n’avaient pas une espérance de vie dépassant trente ans en raison de leurs dures conditions de vie. Par conséquent, représenter une esclave obèse d’âge mûr n’avait rien à voir avec la réalité surtout lorsque souvent les maîtres laissaient les restants aux esclaves pour se nourrir. En sus, la propagande de la femme noire en colère avait pour but de saboter et discréditer les actions des Noirs militant pour leurs droits. Albert Einstein (qui a dénoncé à son époque la situation des Noirs ce qui fut occulté) avait dit: « Il est plus facile de désintégrer un atome que de vaincre un préjugé ». Même s’il avait mentionné cela depuis longtemps c’est encore malheureusement un phénomène toujours réel.

Plusieurs points de vue dans le documentaire sont présentés qui proviennent de 21 femmes vaillantes (du Québec) issues de différentes générations et de milieux divers car l’Afro-Antillaise est multiple. Il fallait que cela se reflète dans le film. Ce dernier donne ainsi une voix pour qu’elles expriment ouvertement leurs vécus. Ces femmes ont réussi dans divers domaines mais elles ont dû briser des plafonds de verre ce qui implique qu’elles ont rencontré des obstacles. Le témoignage de ces femmes apporte des nuances dans la multiplicité de leurs expériences professionnelles et de vie. Il s’avérait capital pour la réalisatrice de présenter une diversité dans son film. Ainsi, la diversité représente pour elle une richesse. Le proverbe chinois de Môn Zah: «Quelle folle entreprise de vouloir changer ton semblable, car s’il venait à changer il ne demanderait ton semblable qu’au prix de ton propre changement». Son documentaire apporte de l’innovation dans un domaine déjà exploité. Dans le film on retrouve une analyse qualitative des discours tenus par les femmes noires sur leurs expériences. Le succès professionnel des femmes présentées dans le documentaire nous rappelle que la diversité doit être célébrée et respectée. Pour madame O’Shun, Le mythe de la femme noire concerne la condition humaine et la dignité de vivre. Il existe une tendance dans la société à vouloir mettre la femme noire dans une case. Le documentaire d’O’Shun brise cela en montrant un éventail de femmes épanouies et accomplies dans différents domaines. Il est donc fort intéressant d’entendre les témoignages des femmes afro-descendantes d’origines diverses qui s’expriment sans ambages et partagent leurs expériences dans diverses sphères (sur le marché du travail, etc.). Ayana O’Shun est une sociologue-cinéaste en mettant des images sur des phénomènes sociaux qui incitent le public à réfléchir sur des questions importantes.

Personne n’est dénigré dans le documentaire et les gens expriment leurs opinions avec respect. On ne sent pas par exemple une hiérarchie entre les intellectuelles et les autres exerçant dans d’autres domaines. Tout le monde a sa place. Dans le film, on voit toute une richesse et diversité de femmes noires intelligentes qui ont des choses à dire. Elles sont chercheuses, psychologues, anthropologues, rappeuses, écrivaines, philosophes, sociologues, etc. Il n’y a donc pas de polarisation ni de jugement dans le documentaire, les informations sont données de manière nuancée. La situation des femmes noires est présentée dans toute sa complexité et pluralité. Le documentaire n’est donc pas tombé dans la facilité de présenter les faits et opinions d’une manière manichéenne ou dualiste.

L'équipe d'O'Shun pour le documentaire a fait de nombreuses recherches et a tenu compte de l’étude faite par Dre Amanda Sesko et Dre Monica Biernat qui ont écrit dans une revue spécialisée en psychologie qu’on ne tenait à peine compte des doléances des Noires qui sont peu entendues. D’ailleurs aux États-Unis, les Noires sont surreprésentées en prison et on n’entend très peu parler de ce phénomène dans les médias. À plusieurs niveaux, on a besoin d’entendre leurs voix et de connaître leurs vécus et réalités. Il a été rapporté par une autrice afro-américaine6 en 2017 que 64 000 Afro-Américaines ont disparu. À cet égard, le grand romancier afro-américain a utilisé le concept d’invisibilité comme métaphore pour son roman classique Homme invisible, pour qui chantes-tu?. Dernièrement, je me trouvais dans une bibliothèque avec plusieurs ouvrages sur la table. Une dame âgée non-noire était curieuse de voir ce que je lisais. Elle m’a montré la page couverture d’un des livres et m’a demandé s’il s’agissait d’Obama. La photo était celle de Malcolm X. Il est hallucinant de constater que même le premier président noir des États-Unis peut être invisible pour une femme qui était éduquée. Il s’avère difficile de savoir s'il s'agit d'une cécité volontaire ou pas. Il y a malheureusement encore beaucoup de chemin à faire.

Plusieurs thèmes sont traités dans le documentaire: le colorisme7, le féminisme, le patriarcat, la représentation des Noires dans les médias, le profilage racial, la discrimination systémique, le racisme8, le sexisme, l’impact du racisme sur l’identité des enfants noirs, etc. En sus, il est important qu’on ait abordé le sujet de la dépression (dans le film) qui peut être perçu comme de la faiblesse, un sujet tabou chez les Afro-descendants. Pourtant, n’importe qui dans le monde est capable d’en être atteint. Cette réalité ne peut être niée. Les auteures américaines Bowman et Costello-Harris traitent de la taxe émotionnelle (pouvant avoir un impact dans diverses sphères de leurs vies) dont souffrent les Afro-Américaines dans leur récent livre Overworked and undervalued: Black Women and Success in America. Ces agressions sont aussi susceptibles de créer des problèmes physiques et/ou mentaux. Au niveau mental, elles parlent même de meurtre psychique. Vu que les problèmes de santé mentale sont tabous chez les Noirs, ces derniers n’iront pas aisément consulter un(e) professionnel(le). La religion, la danse et/ou la musique leur ont souvent plutôt servi de rempart.

On voit dans le documentaire que les clichés sont même présents dans les dessins animés c’est ainsi que l’esprit des enfants est endoctriné dès un très jeune âge. Les enfants noirs peuvent se construire difficilement lorsque des stéréotypes perdurent d’ailleurs on voit dans le documentaire l’expérience du fameux test des poupées dont on a utilisé en 1954 pour l’arrêt américain Brown. Probablement en donnant aux enfants des poupées de toutes les ethnies on formera les prochaines générations à adopter l’harmonie raciale et ceci leur permettra de comprendre que c’est uniquement la race humaine qui existe. Ma chanson préférée qui nous rappelle que les enfants viennent au monde sans construction mentale de race est celle de Youssou et Neneh Cherry 7 Seconds https://www.youtube.com/watch?v=wqCpjFMvz-k. Cette belle chanson (ayant une conscience sociale) https://www.youtube.com/watch?v=h4azpcnXG3g de Janet Jackson concerne également entre autres l’intolérance. Il existe heureusement des gens qui pensent à inspirer les prochaines générations comme la brillante Brooke Hart Jones https://www.hbcyoudolls.com/ qui a créé des poupées noires diplômées d’une HBCU9.

Il existe une différence entre une Noire qui a subi le racisme depuis son enfance et celle qui l'a subi une fois adulte après être arrivée en Occident en tant qu'immigrante. Les mécanismes et les capacités de défense, de protection et d’adaptation ne sont pas les mêmes face à ces attaques sociales. Concernant le test des poupées que l'on voit dans le documentaire, il aurait été intéressant de faire le test chez des fillettes noires vivant en Occident et chez celles vivant dans un pays afro-antillais afin de constater s'il y a des dissimilitudes.

Tel que mentionné, il existe malheureusement de nombreux stéréotypes concernant la femme noire comme: la victime, la superwoman qui supposément rien ne l’atteint, etc. Le documentaire repose essentiellement sur trois archétypes. Ainsi, Le mythe de la femme noire souligne notamment trois stéréotypes: Jézabel (l'hypersexuelle), la Noire en colère et la nounou asexuée et/ou très corpulente (souvent représentée sur le petit écran et grand écran avec le teint très foncé) qui prend soin des autres.

Les impacts de leurs conditions sont nombreux pour les femmes noires et les clichés qui circulent à leur encontre ne les facilitent aucunement. La femme noire subit une triple oppression: elle se situe au niveau économique, racial et genré. Au niveau économique (par exemple aux États-Unis les Afro-Américains travaillant à temps plein gagnaient 20 sous de moins qu’un Blanc en 2020 selon le NY Times10) et depuis des décennies le chômage est au moins le double dans ce pays comparativement à l’ensemble de la population. Selon Forbes en 2018 moins de 10% du capital de risque va entre autres aux personnes dites de couleur. Pour les femmes noires, il s'agit du cinquième d'un pour cent. Il est question de violence et d’exploitation économique. Souvent, elles doivent donc faire face à des pressions extérieures et internes. La lutte doit se faire à plusieurs niveaux.

Beaucoup de Noires ne sont pas encouragées dans la quête de leurs rêves. Par exemple, Michelle Obama a écrit dans son premier livre et raconté dans des entrevues que sa conseillère en orientation (de son école secondaire) croyait qu’elle n’avait pas les qualifications pour être admise à l’université Princeton. De nombreuses Noires pour réussir sont obligées de faire la sourde oreille pour garder confiance en elle en vue d’accomplir les objectifs qui leur tiennent à cœur. Malheureusement, en partie à cause des images négatives trop longtemps véhiculées dans les médias, cette conseillère a été conditionnée à avoir des a priori.

Le mythe de la femme noire peut intéresser les dix ans et plus. En l’occurrence, l’ensemble du contenu du film est bien vulgarisé ce qui le rend accessible à un grand public. Le mythe de la femme noire a été présenté au Festival des films Reelworld en Ontario. La première du film au Québec a eu lieu au RIDM (Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal) le 22 novembre dernier. Ce documentaire a été dans le top 20 du box-office québécois en février dernier.

Différents enjeux sont présentés dans le documentaire: les problèmes de santé mentale et le colorisme comme cela a été mentionné. On traite ainsi de la façon dont les préjugés peuvent être intériorisés chez ceux qui subissent ce phénomène et comment la santé mentale chez certaines est affectée quel que soit l’âge. On fait état aussi entre autres du misogynoirisme11. Le misogynoirisme prend différentes formes à travers le langage par exemple l’étymologie du vocable mulâtresse est raciste (il arrive aussi que des enfants métis se fassent appeler dalmatiens ou zèbres pour les associer aux animaux), au niveau des images stéréotypées que l’on retrouve dans les vidéoclips, les comédies de situation, etc. L’étendue des clichés est malheureusement très large et perdure. Il s’agit d’une propagande discriminatoire insidieuse dans le but de manipuler l’opinion publique. Lorsque j’avais dix ans, une amie de mon âge qui était métisse a malheureusement eu affaire à des gens qui la faisaient sentir à part. Vu que j’avais le même âge qu’elle, je n’avais pas la maturité de lui dire ce qu’il fallait. Si je pouvais reculer dans le temps, je lui aurais dit: « sois fière de ton identité québécoise et haïtienne. Tu es une personne humaine et c’est ce qui compte ».  Elle était l’une de mes meilleures amies durant mon enfance. Cette fille était l’une des personnes les plus brillantes que j’ai connue dans ma vie mais des gens lui donnaient des complexes en lui faisant savoir qu’il était anormal de ne pas faire partie d’une seule race ce qu’elle a malheureusement intériorisé. Cette situation l’a beaucoup affectée (elle n’a pu s’épanouir pleinement) et l’a empêchée de devenir la meilleure version d’elle-même car malheureusement nous vivons dans un monde qui aime catégoriser les gens. Voici une citation de Joséphine Baker (admise au Panthéon en 2021) qui refusait toutes les classifications: « Ici, je savais que je serais sauvée, que je pourrais vivre pour une cause, et cette cause, c’est la fraternité humaine. Je suis venue. Personne ne me disait: « noire ». Personne ne me disait : « négresse », mot qui me blessait terriblement. […] Je suis devenue femme avec confiance dans la vie, femme qui était élevée par la France à laquelle je donne ma gratitude. »

Le documentaire mérite de continuer à voyager et devrait être présenté sur Netflix, Kanopy, BET, BET France, Alexander Street, PBS, TVO, OWN, TVOne, etc. Ayana O’Shun est une pionnière dans la francophonie en présentant un documentaire sur le féminisme des Afro-Antillaises vivant en Amérique du Nord. Tel qu’écrit précédemment, le film est très éducatif et a d’ailleurs été présenté à des étudiants. Ayana O’Shun a déclaré aux médias souhaiter que son film touche le cœur des gens. Elle a définitivement réussi à le faire. Il serait intéressant que la documentariste présente son dernier documentaire aux HBCUs des États-Unis y compris à la plus vieille institution universitaire privée pour les femmes noires du pays, Spelman College à Atlanta.

Sommairement, le documentaire traite des événements anciens et modernes qui contribuent autant à la durabilité de l’existence des stéréotypes véhiculés sur les Noires. Le documentaire a été tourné durant la pandémie ce qui a dû demander bien des défis à relever. Depuis dix ans, O’Shun était sur ce projet et cela paraît qu’il y a eu beaucoup de travail et de recherches derrière son film.

Le documentaire Le mythe de la femme noire dresse l’historique des stéréotypiques la concernant depuis des siècles jusqu’à nos jours. Le film présente le point de vue de 21 femmes accomplies dans divers domaines sur ces questions du 21ième siècle. Leurs analyses permettent de déconstruire les clichés à l’emporte-pièce véhiculés sur les Noires. Toutes les femmes présentées dans le documentaire vivent à Montréal.

Le mythe de la femme noire rappelle donc aux gens qu’on ne peut avoir une vision monolithique ou binaire de ce qu’est une Noire. On entend de la belle musique dans le film dont celle de la talentueuse Dominique Fils-Aimé avec la chanson « There is Probably Fire » coécrite par elle. La bande originale du documentaire comporte essentiellement du jazz.

Le documentaire parle entre autres des procédés que certaines femmes noires utilisent pour correspondre aux canons de beauté imposés par la société. Certaines emploient des crèmes blanchissantes. Il y en a même qui mettent ces produits sur leurs enfants. Tyra Banks a déjà fait une émission sur ce sujet: https://www.youtube.com/watch?v=6rsc0xrnaFU. On y apprend que l’industrie fait des profits de plusieurs milliards de dollars. D’autres font des injections visant la même chose pour la peau sans tenir compte des risques pour leur santé. Beaucoup parmi les femmes noires, ont abîmé leurs cheveux avec des produits défrisants, etc. Dans les médias, il y a des célébrités qu’on fait paraître avec un teint plus clair en jouant avec l’éclairage et photoshop par exemple (d’autres vedettes se sont défigurées avec la chirurgie plastique et/ou le botox). Il s’agit d’un problème de société. Le misogynoirisme peut aller très loin au niveau de l’esthétique. Par exemple, il paraît que lorsqu’Angelina Jolie était enfant, on l’a appelée lèvres de nègres. Il semble que Julia Roberts également qui plus jeune n’arrivait pas à gagner dans des concours de beauté n’était pas appréciée pour ses lèvres qu’on trouvait grosse. Pourtant, la beauté est diverse (d’ailleurs par exemple, la compagnie de la milliardaire Rihanna (la plus riche chanteuse de la planète et la plus jeune milliardaire de l’Amérique du Nord), Fenty Beauty12 (classifié par Forbes comme la meilleure invention de 2017) a adopté comme slogan la beauté pour tous) et il n’y a rien d’objectif quand il est question d’esthétique. La citation suivante du livre Nina Simone Love me or Leave me (des auteures Hirsch et Noiville) évoque parfaitement les effets de la construction sociale du canon de la beauté: « Dans The Bluest Eye13, son héroïne voudrait désespérément se débarrasser de cette peau qu’elle trouve trop sombre, de ce nez trop large et aplati, de ces lèvres trop épaisses – tout ce qu’elle oppose inconsciemment à l’idéal de beauté forgé par les Blancs ». Voici une autre citation percutante figurant dans le même ouvrage concernant les paroles prononcées à Nina Simone par sa professeure (originaire de l’Angleterre) de piano durant son enfance: « Le solfège est formel, lui a soufflé cette dame. Une blanche égale deux noires. Quand tu sauras cela, tu appréhenderas le monde tel qu’il est […] ».

L’excellent documentaire bilingue Le mythe de la femme noire déconstruit les a priori couramment véhiculés depuis des siècles: la prétendue hypersexualité de la femme noire, la docile ou soumise nounou, la Noire de service, l’impertinente peste, la femme noire colérique (une manœuvre utilisée pour la rendre aphone), la victime, la supposée homogénéité de ces femmes, etc. Les microagressions vécues par ces femmes ainsi que les discriminations ouvertes et subtiles sont traitées dans le documentaire ainsi que les comportements tendancieux. Les conséquences sont nombreuses: certaines peuvent avoir le sentiment de ne pas avoir le droit de prendre leur place, de réaliser leurs rêves, d’autres sont même susceptibles de croire qu’elles ne sont pas légitimes, qu’elles sont invisibles ou qu’elles ne comptent pas. Le mythe de la femme noire traite également d’un sujet tabou déjà mentionné. Il s’agit des problèmes de santé mentale. Ce thème s’avère crucial car le racisme peut atteindre la psyché dès l’enfance. On le voit d’ailleurs dans les archives du documentaire concernant le test des poupées inventé par le psychologue américain Dr. Kenneth Clark et son épouse durant les années 50. Kiri Davis a refait le test au début du 21ième siècle avec son court-métrage intitulé A Girl Like Me et les résultats ont malheureusement été les mêmes un demi-siècle plus tard. Il s’agit d’un problème de société. Cette dernière doit sérieusement s’interroger sur les méfaits ambiants qui ont permis dès un très jeune âge à ces fillettes d’intérioriser ces idées péjoratives et y apporter les correctifs.

Le mythe de la femme noire a tellement touché les gens que par exemple au podcast du Balado de Ciné-Bulles on a dit en interviewant madame O’Shun que la femme noire représentait l’avenir de l’humanité et que son documentaire participera à cela. En sus, une citation de Serge Bouchard devenu officier de l’Ordre national du Québec en 2016 a préfacé le livre De la reine de Saba à Michelle Obama de l’auteure sénégalaise Ly-Tall, lauréate du prix de la gouverneure générale du Canada en écrivant: « Notre mère à tous était une femme noire […] ».

Ayana O’Shun est la scénariste et réalisatrice du film documentaire Le Mythe de la Femme qui s’inscrit bien dans la thématique principale de notre webmag trilingue concernant la diversité. Madame O’Shun a voulu démontrer avec son long-métrage que la femme noire est multiple et non homogène ce qu’elle a réussi avec brio.
Il faut mentionner qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir afin que le genre féminin soit davantage respecté. Par exemple, il existe des pays où l’histoire des femmes est célébrée pendant tout le mois de mars et on ne se contente pas que du 8 mars. Il faudrait aussi s’entendre sur le même mois car ce n’est pas partout qu’on célèbre en mars.

Ayana O’Shun aime présenter dans ses œuvres des femmes fortes n’acceptant pas leurs conditions imposées. C’est ce qu’on observe par exemple avec la protagoniste Marie-Josèphe Angélique dans Les mains noires. Il importe pour elle de transmettre d’autres perspectives poussant à la réflexion.

Ayana O’Shun est une jeune femme humble qui ne joue pas à la vedette. En d’autres mots, elle est sans prétention. Elle est une excellente actrice et a la capacité de montrer naturellement toute une gamme d’émotions. Pour paraphraser l’actrice Hedy Lamarre, tous les artistes veulent se rendre là où on ne les attend pas. C’est ainsi que l’on peut percevoir madame O’Shun dans ses rôles comme dans le film Cassy. La façon dont O'Shun utilise le cinéma est superbe car elle se sert de sa voix en montrant un éclairage différent avec d'autres perspectives. Madame O’Shun a une riche expérience artistique, elle œuvre à la fois au théâtre, à la télévision, au grand écran et derrière les caméras. Cela lui donne une vision globale du métier et elle aime voyager pour sa carrière. Par exemple, en 2022, elle est allée au Marché du Film du Festival de Cannes via la délégation québécoise. Elle a aussi souvent été présente suite à la projection de son documentaire pour répondre aux questions du public.

La réalisatrice possède une excellente éthique de travail, elle sait travailler en équipe et comment en construire une. Ayana O’Shun n’a pas peur de grand-chose. Elle ira loin dans sa carrière car elle adore voler dans le sens propre (à savoir qu’elle a déjà fait du parachute et du deltaplane) et dans le sens figuré puisqu'elle sait foncer.

Depuis des années, elle travaille en collaboration avec sa sœur Bianca Bellange. Il faut noter que cette dernière en 2018 a été sélectionnée parmi le top 25 des productrices à travers le Canada pour le programme Netflix Diversity of Voices Initiative au Banff World Media Festival. Leurs films ont été diffusés à Radio-Canada, TV5, l’ONF et Télé-Québec.

Ayana O’Shun aime accorder son temps aux jeunes en les visitant dans les écoles. L’entrevue ci-dessous avec madame O’Shun m’a fait beaucoup réfléchir. Pour assurer une relève d’acteurs et de réalisateurs parmi la jeunesse, il serait intéressant de créer une émission comme Inside the Actors Studio au Canada. Madame O’Shun fait ainsi sa part en visitant les établissements scolaires pour partager son expérience auprès des jeunes.

En résumé, O’Shun est une femme d’équipe, elle a compris qu’on est plus fort ensemble. D’ailleurs, elle a co-fondé avec sa sœur une maison de production comme cela a été mentionné précédemment. La contribution de madame O’Shun est éclectique ce qui reflète sa personnalité à savoir qu’elle a de nombreuses passions et intérêts. Madame O’Shun est une jeune femme qui s’intéresse à beaucoup de choses: aux langues, aux voyages, à la danse, à l’art, etc. En d’autres mots, elle aime ouvrir ses horizons et ne se limite pas. Vu qu’entre autres elle a beaucoup voyagé et connaît plusieurs langues, elle n’a certainement pas l’esprit de clocher. À cet égard, elle porte plusieurs chapeaux à savoir qu’elle est notamment actrice, réalisatrice, scénariste, entrepreneuse et productrice. En tant qu’actrice, réalisatrice et scénariste elle possède une riche palette artistique. On ne peut la mettre dans une case.  Étant donné son plurilinguisme, elle pourrait même s'occuper du doublage de ses propres films.

Comme actrice, Ayana O’Shun détient la capacité de jouer des rôles divers et ne craint pas d’interpréter des rôles controversés comme dans Cassy. Avec tous les talents qu’elle possède et les langues qu’elle parle, Ayana O’Shun aura certainement une longue carrière notamment dans le domaine du divertissement. Assidûment, madame O’Shun s’autodéveloppe en tant qu’artiste. Ainsi, elle possède plusieurs cordes à son arc.

Vu qu’il y a peu de réalisatrices, c’est souvent la perspective masculine que l’on retrouve à la télévision et au cinéma. Peu de jeunes aussi produisent des films donc on n’entend pas assez leurs voix. Notre webmag trilingue est donc content de présenter une jeune réalisatrice à nos lecteurs. L’entrevue a eu lieu au printemps dernier et en mars elle a malheureusement perdu sa mère dont elle fera part durant l’entrevue.

P.T. Avant de commencer l’entrevue, je vous offre mes condoléances.

A.O’S. Merci.

P.T. Vu que notre webmag trilingue concerne notamment la diversité, partagez avec nous comment vous avez appris plusieurs langues? Est-ce que cela s’est produit grâce à vos voyages, etc.?

A.O’S. J’adore voyager. J’ai commencé à le faire seule dès mes 18 ans après avoir obtenu mon passeport. Je parle anglais, français, créole et portugais. J’ai appris cette dernière langue après avoir passé plusieurs mois au Brésil via le programme Québec sans frontières (QSF). J’ai beaucoup aimé cette expérience et je suis d’ailleurs retournée là-bas à plusieurs reprises. Je crois que c’est une richesse de connaître plusieurs langues. Étant donné que je suis d’origine haïtienne j’ai évidemment appris le créole depuis mon enfance. Vu que je suis née au Québec, très jeune j’ai maîtrisé l’anglais et le français.

P.T. Quand vous étiez beaucoup plus jeune, vous vous destiniez à la médecine. Plus tard, vous avez découvert votre passion pour le cinéma. Comment ce changement a été perçu dans votre milieu et avez-vous été soutenue dans la poursuite de vos rêves ?

A.O’S. Mon père est chimiste et ma mère était infirmière. J’ai donc été très influencée à me retrouver dans le domaine scientifique. On m’a fortement suggérée de devenir médecin. J’aimais beaucoup la chimie et la biologie. Par contre, la physique ne me plaisait pas au cégep14. À cette époque, j’ai commencé à prendre des cours d’art dramatique que j’ai adorés. Je me suis découverte une nouvelle passion. Quand j’ai partagé cela avec ma mère, elle a été surprise de constater que je souhaitais me diriger vers cette voie mais elle m’a soutenue en me faisant savoir que tout ce qu’elle souhaite pour moi c’est mon bonheur. J’ai eu la chance d’avoir une mère extraordinaire qui me comprenait. Elle m’a rappelé que l’important est de faire ce que l’on aime dans la vie. J’ai donc étudié le cinéma. D’une certaine façon, j’estime que la guérison mentale et spirituelle peut aussi se faire avec l’art alors je ne sens pas si éloignée du chemin que je voulais prendre avant en médecine.

P.T. Très peu de femmes sont productrices et réalisatrices. Pas beaucoup d’actrices prennent cette voie également. Qu’est-ce qui vous a amenée à adopter ce chemin?

A.O’S. J’ai été à l’université pour devenir réalisatrice. J’ai pris des cours le soir où l’on faisait des jeux de rôle entre acteurs. Je me suis rendu compte qu’en tant que réalisatrice on peut mieux diriger les comédiens. Cela m’a passionnée.

P.T. Quand on vieillit, j’imagine que c’est plus facile et judicieux de se diriger vers la réalisation en tant que femme parce que les actrices peuvent être victimes d’âgisme.

A.O’S. Quand on est noir, on peut se retrouver à auditionner pour les mêmes rôles quel que soit notre âge. Par exemple, il m’est arrivé de passer une audition avec Mireille Métellus pour le même personnage même si nous avons un écart d’âge important (nous ne faisons pas partie de la même génération).

P.T. [Rires]

A.O’S. Vu qu’il y a moins de rôles pour nous, il arrive qu’on se retrouve dans ce genre de situation [rires].

P.T. Comment votre métier d’actrice influence votre travail en tant que réalisatrice avec votre équipe de comédiens?

A.O’S. Je parle leur langage je n’utilise pas des termes techniques mais plutôt des verbes d’action par exemple comme dominer. C’est concret pour eux, les comédiens apprécient cela car on connaît leur réalité. Grâce à mon expérience d’actrice, je suis capable de les guider pour obtenir les émotions souhaitées quand ils incarnent les personnages.

P.T. S’il vous plaît, énumérez-nous entre une et trois réalisatrices et/ou actrices (mortes ou vivantes) qui vous inspirent et dites-nous pourquoi.

A.O’S. Je vais commencer avec Ava DuVernay. J’admire le type de films qu’elle fait et son approche.

P.T. En passant, j’aimerais dire à Raoul Peck, Spike Lee, Ava DuVernay et Gina Prince-Bythewood, attention Ayana O’Shun arrive à Hollywood!

A.O’S. [Rires] Concernant DuVernay, on sent dans son travail qu’elle cherche à faire évoluer la société et qu’elle vise la fraternité ainsi que l’équité entre les gens. Elle est très entreprenante et elle distribue ses films. Elle met en avant les voix des femmes dites racisées et d’autres voix trop longtemps cachées. Anaïs Barbeau-Lavalette est la deuxième réalisatrice qui me plaît beaucoup. Cette Montréalaise porte plusieurs chapeaux: elle est autrice, scénariste, activiste, etc. Elle fait valoir les voix des gens marginalisés. Elle s’intéresse aux classes sociales. Son travail tend souvent à vouloir transformer la société, on observe qu’elle porte une attention particulière à la justice sociale.

Je sais que vous m’avez demandé de nommer des femmes mais je ne peux m’empêcher de parler de Denzel Washington. Je le considère comme un acteur exceptionnel et mature. Au fait, je l’adore comme du bon vin. J’admire la manière dont il joue. Il me fait penser à un personnage de documentaire naturel, on ne dirait pas qu’il joue, tellement il paraît spontané. Rien n’est surfait dans la manière dont il prend le téléphone, comment il marche, il s’exprime et ainsi de suite. J’aime le fait qu’il soit très conscient, il va parler aux jeunes tout en les poussant à essayer de progresser et à poursuivre leurs rêves.

P,T On le voit qu’il vous inspire car je sais que vous allez voir les jeunes dans leurs écoles.

A.O’S. Tout à fait !

P.T. S’il vous plaît, nommez-nous entre un et trois films que vous devez toujours revoir et dites-nous pourquoi.

A.O’S. Cela fait longtemps que je ne revois pas des films et je ne sais pas pourquoi. J’ai adoré Titanic, j’aime beaucoup les histoires d’amour. Ce film est définitivement devenu un classique. Le décor, les costumes, la musique, le jeu des acteurs sont magnifiques. Je peux aussi nommer le documentaire The 13th d’Ava Duvernay. La première fois que je l’ai vu cela a été un choc et j’ai senti le besoin de le revisionner à quelques reprises car des choses m’avaient échappé. Je me suis attardée à l’aspect plus technique lors du troisième visionnement. Le film Roma sur Netflix m’a beaucoup plu. Il s’agit d’un très beau long-métrage en noir et blanc se déroulant au Mexique. Visuellement le film est impeccable, la réalisation artistique est superbe. Pour moi, il s’agit d’un chef-d’œuvre et c’est l’un des meilleurs films que j’ai vu ces dernières années. Alfonso Cuarón est le réalisateur de ce long-métrage qui a remporté des Oscars. Ce film m’a happée. L’histoire de la jeune bonne, l’une des protagonistes qui travaille pour une très riche famille mexicaine m’a vraiment touchée. J'aime aussi la série de Netflix, La Reine Charlotte: un chapitre Bridgerton produite par Shonda Rhimes. La série est palpitante et très bien écrite. Il s’agit d’une belle histoire d’amour.

P.T. Je trouve très intéressant que vous ayez nommé Titanic parce qu’il serait super si votre prochain documentaire porterait sur Joseph Laroche. Son oncle par alliance était le président d’Haïti à l’époque, il s’agissait de Leconte qui était un descendant de l’empereur Dessalines. Le grand-père de Joseph Laroche était le boîtier du roi Henri Christophe. La famille de Laroche l’avait envoyé en France étudier le génie civil. Il s’est retrouvé sur le Titanic avec sa femme et ses enfants pour retourner en Haïti afin de lui prêter main-forte via ses connaissances acquises en tant que mathématicien. Malheureusement, il a péri en raison du naufrage après que le paquebot ait heurté un iceberg au large de Terre-Neuve.

A.O’S. En effet, ce serait vraiment intéressant de faire un documentaire sur ce brillant Haïtien. Sa présence sur le Titanic doit être davantage connue et il s’agissait du seul passager noir. Il est mort en héros puisqu’on sauvait d’abord les femmes et les enfants.

P.T. Son épouse et ses enfants ont été épargnés. La contribution de Laroche n’a pas été banale malgré sa courte vie. À Paris, il a participé entre autres à la construction de la présente ligne 12 du métro.

P.T. Concernant votre court documentaire Médecins sans résidence, est-ce que vous avez eu un suivi à propos d’eux? Savez-vous si certains ont pu pratiquer la médecine ici ou ailleurs en Amérique du Nord?

A.O’S. Malheureusement, je n’ai plus eu de nouvelles après la sortie du documentaire. D’ailleurs, pour le tournage personne ne voulait parler à visage découvert. On a dû transformer les voix pour ceux qui ont témoigné de leurs expériences. On m’a tout de même informée que plusieurs ont déménagé et que par exemple au Manitoba ils ont été accueillis à bras ouverts.

                                                                 Place Marie-Josèphe Angélique

P.T. Marie-Josèphe Angélique représente quoi pour vous et pourquoi il a été important de faire le documentaire Les mains noires? Comment vous êtes-vous sentie en 2009 lorsque vous avez interprété son rôle dans la pièce de théâtre à l’endroit situé près du lieu où on l’a pendue avant de la brûler?

A.O’S. J’ai découvert par hasard l’histoire d’Angélique grâce aux écrits de l’historien québécois Marcel Trudel. Ses recherches démontrent la présence des Noirs depuis des siècles dès l’époque de la Nouvelle-France. J’ai acheté son livre Deux siècles d'esclavage au Québec. La première édition a été publiée durant les années 60 et Trudel a dû faire face à des résistances pour cette histoire taboue. On n’a pas voulu que cela soit enseigné dans les écoles. Plus tard, l’auteur Paul Fehmiu a eu comme mentor Trudel. J’ai aussi appris des choses sur Angélique en écoutant la chaîne télévisée Historia. L’histoire d’Angélique me fascine parce qu’il est question d’une femme rebelle avec son côté effronté. Elle a toujours refusé sa condition d’esclave et malheureusement elle a été la coupable toute désignée. On l’a tuée près de la Place Pointe-à-Callière. J’ai éclaté en sanglots après ma prestation une fois rendue dans ma voiture. Mais en même temps, j’ai ressenti une immense gratitude pour avoir eu l’honneur d’interpréter le rôle d’Angélique. La connexion était forte pour moi de me retrouver au Vieux-Montréal, le lieu où cette tragédie s’est produite. J’aime le fait aussi que mon documentaire soit éducatif car on l’utilise dans des écoles et cela a été aussi pour moi formateur d’interviewer les historiens et comédiens que l’on voit dans le DVD. Cela a représenté une riche expérience pour moi car j’ai apprécié leurs partages sur leurs vécus d’avoir participé à la conception du film.

P.T. J’ai déménagé dernièrement et j’ai retrouvé dans mes affaires les livres de Cooper, Fehmiu et Beaugrand-Champagne qui m’étaient tous dédicacés par les auteurs. C’est vraiment spécial.

A.O’S. En effet!

P.T. En passant, pourquoi Afua Cooper n’a pas été interviewée pour votre documentaire?

A.O’S. Il n’était pas évident de se rendre en Ontario pour cela mais je suis tout à fait au courant de sa perception différente de Beaugrand-Champagne concernant la culpabilité de Marie-Josèphe Angélique.

P.T. Comment définissez-vous votre documentaire Le mythe de la femme noire? Est-il féministe, activiste, militant, éducatif… ? De plus, votre film est-il dédié à la prochaine génération?

A.O’S. Il est définitivement tout cela. Je vise particulièrement l’empowerment. Les femmes présentées dans le documentaire ont subi des préjudices mais elles ont trouvé un moyen de les contrer et de les dépasser en trouvant leur place au soleil. Elles sont inspirantes et peuvent servir de modèles à la prochaine génération. J’ai aussi fait le film pour l’adolescente que j’ai été.

P.T. La musique que l’on entend dans le film est très bien choisie. Pouvez-vous en parler tout en partageant avec nous le processus de sélection des chansons?

A.O’S. Quand je développais le film, j’écoutais souvent la musique de Dominique Fils-Aimé. Je tenais à avoir du jazz, c’était mon premier choix. Je trouvais que ce genre musical représentait ce qui fonctionnait le mieux pour le documentaire. Cela coulait naturellement. J’ai donc écrit une lettre à son équipe tout en expliquant pourquoi je voulais sa musique. Heureusement, ma démarche a fonctionné et 80% de la musique qu’on entend dans Le mythe de la femme noire est la sienne. Je crois aussi que la musique gospel de Watson est magnifique. C’était important de choisir la musique de femmes noires pour l’ensemble du documentaire qui se termine avec la chanteuse Dawn Tyler Watson.

P.T. Il existe plusieurs stéréotypes qu’on attribue à la femme noire (certains sont aussi associés aux hommes noirs) comme ces termes anglais et français: the Mammy (en français la nounou souvent étant représentée comme une femme grosse ou obèse et asexuée), the tragic mulatto15, the Jezebel, la tante Jemima, the aunt Sarah, the sapphire, golliwog, pickaninny, la matrone, la Noire en colère, l’insolente, etc. Vous en avez choisi trois. Comment vous en êtes arrivée à prendre cette décision? Et, s’il vous plaît expliquez-nous les trois archétypes sur lesquels repose votre documentaire.

A.O’S. La Jezebel, la nounou maternelle qui prend soin de tout le monde autour d’elle, la femme noire en colère hystérique et jamais contente sont trois stéréotypes les plus présents et qui sous-tendent mon documentaire. J’ai dû en confronter certains dans ma vie. En tant qu’actrice, j’ai souvent dû auditionner pour des rôles d’infirmières, de préposées, de gardiennes d’enfants et ainsi de suite. Je me suis demandé comment cela se fait que j’étais appelée pour ces rôles typiques avec d’autres actrices noires. J’ai effectué des recherches. Mon film découle donc de toute une réflexion et j’ai souhaité donner la parole à des femmes relatant leurs expériences tout en s’exprimant sur l’influence que ces stéréotypes ont eue dans leurs vies.

P.T. Il existe une différence entre une Noire qui a subi le racisme depuis son enfance et celle qui l'a vécu une fois adulte après être arrivée en tant qu'immigrante en Occident. Parmi les femmes que l'on voit dans le documentaire et celles que vous avez interviewées avant la sélection définitive, quelles observations avez-vous faites?

A.O’S. Si une enfant intègre les stéréotypes véhiculés et n’a pas fait un travail pour exorciser cela, ces clichés peuvent malheureusement rester ancrés en elle et la poursuivre. L’impact sera différent d’une Noire qui est confrontée adulte au racisme.

Dans mon documentaire, j’ai présenté des femmes de différents âges, teintes de peau, accents, etc. L’une est née en Autriche, une autre à Porto Rico. D’autres ont vu le jour en France, en Haïti, au Cameroun et j’en passe. Avec cette diversité, j’ai voulu briser le mythe de l’homogénéité. En d’autres mots, les femmes noires ne sont pas monolithiques. J’ai souhaité mettre en avant les différences et la particularité de chacunes. Je crois que leur unicité apporte une richesse. Parmi le public, une femme issue du Rwanda a été surprise d’être identifiée comme une minorité en arrivant en Occident. Elle était évidemment consciente d’être Noire au Rwanda mais elle s’est sentie confrontée à la question de couleur de manière plus violente après être arrivée adulte dans un pays nordique. Je n’ai donc pas observé des expériences communes parmi l’ensemble des femmes interviewées. Le vécu des femmes interviewées se caractérisaient par leur unicité. Il y en a qui ont vécu le racisme à différentes étapes de leurs vies de façon directe et brutale, pour d’autres cela s’est présenté de manière indirecte, systémique et insidieuse.

P.T. En écoutant votre documentaire, on voit qu’il y a eu beaucoup de recherches. Vous avez mentionné dans les médias que cela vous a pris dix ans pour effectuer votre film. Pouvez-vous nous parler du processus de la réalisation de votre film? De plus, quels étaient vos critères au niveau du choix des femmes pour votre documentaire? Combien de femmes avez-vous interviewées et comment vous les avez sélectionnées pour en arriver à 21?

A.O’S. Mes critères consistaient à choisir évidemment des femmes noires issues de divers milieux, de différents accents, de diverses origines (incluant la peau et la texture de cheveux). Je voulais aussi avoir des femmes qui avaient des choses à dire concernant le sujet des stéréotypes. Dans le processus d’exploration, j’ai interviewé beaucoup plus que 21 femmes avec mes recherchistes. Je crois qu’on a interviewé environ 70 femmes. Après, j’ai eu la difficile tâche de sélectionner celles qui feraient partie du documentaire. Ce n’était pas évident car beaucoup plus auraient pu être interviewées pour le tournage. On n’a pas eu le choix de réduire parce que la durée du film ne devait pas dépasser une heure et demie. J’estime que notre sélection finale nous a permis d’obtenir la diversité souhaitée et les dames avaient des choses à dire à propos des thèmes abordés dans le documentaire. Par exemple, lorsqu’il était question de s’exprimer sur la représentation des femmes dans le hip-hop, cela prenait une spécialiste comme Agnès Berthelot-Raffard, docteure en philosophie. Pour moi, ces femmes représentent un bouquet de protagonistes qui ont exprimé leurs différents points de vue. Certaines ont partagé leur expertise, d’autres ont parlé selon leurs expériences personnelles. Nous avons choisi celles qui ont élaboré sur tous les thèmes traités dans le documentaire. Au niveau du tournage, nous avons interviewé 26 personnes. On en a donc enlevé 5 dont 3 hommes parce qu’on a réalisé que ce serait beaucoup plus percutant si 21 femmes prenaient la parole pour raconter leurs histoires. Ce que les hommes avaient à dire était très intéressant mais on pourra le garder pour une future production.

Avant la réalisation du film, on a soumis notre projet aux institutions. J’ai eu des refus pendant trois ans. Le projet a donc été mis en suspens après. Entre-temps j’ai écouté une entrevue de la réalisatrice Amandine Gay vivant en France. Elle m’a inspirée quand je l’ai entendue parler des démarches de sociofinancements entreprises via Crowdfunding. Parallèlement, j’ai repris mes demandes de financements tout en soumettant une démo avec le scénario du documentaire. Malheureusement, les événements de George Floyd et de Black Lives Matter ont suscité un intérêt et un réveil pour les questions de races. C’est dans ce triste contexte qu’on a pu finalement obtenir le budget. Concernant le côté plus technique, on a dû négocier pour avoir l’autorisation d’utiliser des images et vidéos auprès des archives.

P.T. Le premier test des poupées a été fait durant les années 50 pour l’arrêt Brown aux États-Unis. Il est triste de constater dans votre documentaire que les résultats sont les mêmes avec les enfants noirs d’aujourd’hui. Je tiens à ajouter que les Barbies sont présentées comme des mini-femmes-objets créant des complexes aux enfants quelles que soient leurs origines. On observe chez les filles des problèmes alimentaires de plus en plus jeunes particulièrement en Occident.  Qu’est-ce qui doit être effectué afin de faire évoluer la situation?

A.O’S. Effectivement, le test des poupées se fait depuis les années 50. Généralement, on demande quelle est la poupée la plus belle et la plus laide. Ce qui est particulier dans l’archive montrée dans le film, on demande laquelle des deux poupées est bonne ou méchante. Par conséquent, cela ne concerne pas seulement le côté physique mais aussi le caractère (la perversion, la corruption de la personnalité) qui est mis en avant dans ce test. Pour moi, c’était beaucoup plus intéressant de montrer cet aspect. L’intégration des stéréotypes dans la société a lieu dès le plus jeune âge. On voit que c’est bien cristallisé quand la petite fille affirme qu’elle ressemble à la poupée méchante. Pour lutter contre les problèmes alimentaires des filles en Occident, je pense que la représentation des femmes diversifiées est un incontournable. On doit cesser de mettre en avant des corps d’apparence prépubère sur les podiums et dans les médias ayant une influence comme le cinéma, la télévision, les vidéoclips, etc. La diversité est importante au niveau de la couleur et de la corpulence. Je crois que tout commence avec l’estime de soi, la valorisation de soi et l’amour de soi. On vit malheureusement dans un monde mettant en exergue nos insécurités ce qui peut nous mettre mal à l’aise. On nous transmet des messages comme: on n’est pas assez ceci ou cela. En grandissant, on peut avoir le sentiment de ne pas être suffisamment à la hauteur. On a tendance à croire que pour avoir plus de valeur, on devrait mettre telle crème, tel parfum ou telle sacoche, fréquenter ce genre de personne, etc. Si on possédait une réelle valorisation de soi, toutes ces choses auraient moins d’emprises sur nous. Ce n’est certainement pas dans les images extérieures qu’il faut chercher la valorisation ou la validation. Les jeunes ont besoin de leurs familles pour trouver des modèles, cela ne doit pas avoir lieu à l’extérieur. Ils peuvent s’identifier à des proches sains qui pratiquent déjà la valorisation de soi ou l’amour de soi. Il incombe à ces gens d’avoir la responsabilité de transmettre ces valeurs. J’ai rencontré dans ma vie des femmes qui ne se préoccupent aucunement des images des mannequins. Elles assumaient totalement leurs rondeurs parce que leurs frères leur disaient qu’elles étaient belles. Leurs pères, mères, oncles et ainsi de suite faisaient de même. Cela se passait à l’intérieur des familles.

P.T. Pourquoi il a été important pour vous de faire un documentaire sur la manière dont les femmes noires sont perçues? Quel est le message principal que vous souhaitez transmettre à travers votre film?

A.O’S. Pour moi, il s’avérait important de faire un documentaire sur la façon dont les femmes noires sont perçues vu que j’en suis une. De plus, les images de moi que je voyais dans les médias en grandissant ne me correspondaient pas. Les quelques images de Noires que j’observais étaient stéréotypées. Je souhaitais avec mon documentaire démystifier ces clichés et de conscientiser les jeunes filles. J’espère que le film leur permettra de repérer plus facilement les images stéréotypées tout en reconnaissant que cela ne leur ressemble pas. Une cousine dernièrement a partagé avec moi avoir remis une personne à sa place. On lui a répondu qu’elle était une femme noire en colère. Vu qu’elle a vu le documentaire elle lui a rétorqué que son commentaire était un stéréotype sans élaborer davantage [rires]. Ce que j’ai trouvé beau c’est qu’elle n’a pas ressenti le besoin de se justifier auprès de cette personne. Le fait d’avoir vu le documentaire et d’en avoir discuté avec ses amis lui a donné des outils lui permettant de se défendre. Cela lui a aussi donné l’occasion de réaliser que son identité n’a rien à voir avec ces clichés.

Le message principal que je souhaite transmettre à travers mon film concerne l’empowerment. Une fois que les gens auront un pouvoir sur leur vie cela permettra de changer ou de transformer les sociétés plus en profondeur. On cessera d’attendre de l’extérieur que nos besoins intimes et cruciaux soient assouvis. On a tout ce qu’il faut pour les combler et pour l’exprimer à ceux qui nous entourent. Donc, au risque de me répéter mon message principal en est un d’empowerment. On peut devenir ce que l’on souhaite être, et il est possible de l’accomplir nonobstant les images extérieures et les messages négatifs véhiculés nous concernant.

P.T. Comment votre documentaire a été perçu par les jeunes et les moins jeunes jusqu’à présent ? Qu’en est-il du public afro-antillais et des gens d’euro-descendance?

A.O’S. Je suis vraiment contente parce que le documentaire a été réellement bien accueilli et perçu par l’audience. Il a été présenté dans les salles de cinéma pendant neuf semaines et s’est retrouvé dans le top 20 du box-office québécois durant cinq semaines. Mon équipe et moi avons été vraiment ravis. Cela a été une agréable surprise. En tant qu’artiste, cela m’a fait beaucoup de bien de constater que le film a touché des gens. J’ai reçu de nombreux messages via les réseaux sociaux particulièrement Facebook et Instagram. Le même phénomène s’est produit avec les protagonistes du film. Des personnes de différentes générations en commençant par les adolescents m’ont approchée. Cela m’a fait chaud au cœur de savoir que des gens ont revu le documentaire avec des amis, leurs partenaires de vie, leurs collègues de travail, etc. J’ai fait beaucoup de questions-réponses à travers le Québec et aussi à New York. Au fait, les gens avaient surtout des commentaires à faire plutôt que des questions à poser. Les retours que j’ai eus provenaient des personnes de diverses origines: des Autochtones, des Asiatiques, des Latinos, etc. Ils ont partagé avec moi quelles sont les parties du film qui les ont interpellés. Le documentaire focalise sur les femmes noires. Bien que le sujet soit particulier, il est devenu universel. Même si le film concerne les femmes noires, il se rapporte aussi à la condition humaine. Pour cette raison, plusieurs personnes se sont identifiées aux protagonistes du film.

Le public afro-antillais s’est évidemment senti interpellé par le film. Je vais les séparer en deux parties. Il y a les femmes de toutes origines. Le documentaire les a touchées parce que cela leur parlait directement. J’ai reçu des commentaires de ces femmes issues de tous les milieux. Le film a révélé des choses pour elles. Le documentaire leur a permis de conscientiser plusieurs points selon leurs propos. Ceci me donne la satisfaction d’avoir atteint mon but d’empowerment. L’autre partie concerne les hommes noirs. Il y en a qui sont venus de leur propre initiative, d’autres ont vu le film en étant accompagnés par leurs copines, sœurs, etc. Il y en a qui ont pris la parole et ont dit merci parce qu’ils n’avaient pas pris conscience de certaines réalités. Par exemple, à Gatineau un Togolais d’une quarantaine d’années a mentionné que plus jeune lorsqu’il était étudiant à Paris, plusieurs de ces copains qui avaient délaissé leurs partenaires africaines visaient une Blanche à épouser. L’un de ses amis a laissé sa fiancée togolaise pour marier une Française. Lorsque la Togolaise a appris cela, elle a fait une tentative de suicide. Le témoignage de cet homme était réellement puissant. En voyant le documentaire, il s’est rendu compte qu’il avait inconsciemment appris les canons de beauté véhiculés dans les médias qui l’ont poussé à vouloir fréquenter plus jeune une non-Noire. En Afrique, certains ont aussi intériorisé cette façon de penser en valorisant davantage les femmes ayant la peau plus claire. Se retrouver avec ces femmes peut être perçu comme un accomplissement ou avoir obtenu un trophée. Le Togolais a marié une Noire. Il a réalisé qu’il projetait sur elle le mythe du potomitan. Ce mot créole signifie la superwoman qui s’occupe de tout et qui assume tout. Quand sa femme lui disait qu’elle avait besoin d’aide, il n’y apportait pas attention car il prenait pour acquis qu’en raison de sa force, elle était capable de s’en charger. En écoutant les témoignages des femmes du documentaire, il a réalisé qu’elles ont leur vulnérabilité et qu’il avait aussi un rôle à jouer. C’était très beau d’entendre ce témoignage. Pour les hommes euro-descendants, plusieurs ont pris conscience de certaines choses. Concernant ceux qui n’ont pas fréquenté de Noires, voir le documentaire représentait l’entrée dans un nouvel univers. Ils étaient contents d’avoir appris des choses. Vu qu’il existe des stéréotypes dans d’autres peuples, cela leur a fait réaliser des aspects concernant les femmes de leurs vies.

Les gens d’euro-descendance ont aussi été touchés par le film qui traite de la condition humaine. Les femmes blanches ont mentionné que des stéréotypes existent pour elles aussi comme la femme hypersexualisée. Elles estiment que la p* et la maman sont des clichés concernant toutes les femmes de la terre. À propos de la femme en colère, on attribue aux Blanches le stéréotype de la femme hystérique. Cela les a également marquées. Elles n’avaient pas réalisé les particularités associées à la race qui sont traitées dans le documentaire.

P.T. La femme noire représente quoi pour vous? Pouvez-vous en nommer entre une et trois (mortes ou vivantes) qui vous inspirent tout en nous expliquant pourquoi?

A.O’S. La femme noire me représente puisque j’en suis une. Dans mon documentaire, j’ai voulu briser les mythes avec le témoignage des 21 femmes et détruire la fiction qu’il existe une femme noire comme si on était homogène ou un tout monolytique. Il y a des femmes noires, des femmes tout simplement avec leurs expériences, peines, joies, etc. J’ai aussi voulu faire ressortir toute la complexité de ce qui crée l’expérience humaine. Donc, pour moi la femme noire représente un être humain avec le genre féminin et le fait d’être noire avec les conditions sociales qui en découlent.

À propos des femmes que je peux nommer, je réitère Ava DuVernay. J’admire Cicely Tyson qui était une grande actrice qui a reçu un Oscar d’honneur en 2018 et une nomination aux Oscars durant les années 70 en tant que meilleure actrice pour son rôle dans le film Sounder. Elle m’inspire parce qu’elle s’est battue toute sa vie pour les droits civiques. Je viens de perdre ma mère extrêmement récemment. Il est certain que lorsque l’on perd un être cher, on réalise le trou que cette personne laisse. Il est évident que ma mère m’a inspirée toute ma vie. Elle a quitté Haïti pour s’installer au Québec à 21 ans. Elle a construit sa vie avec mon père en créant une famille. Elle a fait rentrer d’autres membres de la famille à Montréal qui ont eux-mêmes construit leurs propres familles. Elle est la source et l’origine de différentes familles. Elle a travaillé toute sa vie pour le bien commun. Elle était infirmière, son travail de rêve. Elle œuvrait à la frontière pour recevoir les réfugiés qui rentrent depuis 2020 des États-Unis. Elle représentait l’un des premiers visages que les gens voyaient en venant au Canada. Elle prenait soin d’eux. Elle était une femme d’une grande générosité incroyable et d’un cœur infini. Ses qualités m’inspirent ainsi que l’héritage qu’elle m’a laissé. Je suis certaine qu’au courant des prochains mois et années, je découvrirai l’ampleur de la transmission de ce qu’elle m’a léguée ainsi qu’à ma sœur et à tous les gens qu’elle a touchés.

P.T. Votre mère était finalement le potomitan et elle demeurera toujours vivante dans votre cœur.

P.T. Vu que vous êtes plurilingue, avez-vous l’intention de traduire votre dernier documentaire en d’autres langues pour le faire voyager à travers le monde?

A.O’S. Cela m’intéresse. Pour le moment, il existe la version sous-titrée en anglais. Le film peut ainsi voyager dans la langue de Shakespeare. J’adorerais que ce soit aussi traduit en espagnol et portugais. Cela pourrait être au moins sous-titré. Ce n’est pas moi qui décide. Ce sont les distributeurs selon le territoire où le film est diffusé. Si cela dépendait de moi, le film serait traduit en plusieurs langues y compris le créole [Rires].

P.T. Avez-vous l’intention de présenter votre documentaire à des festivals comme le Festival International du Film de Toronto, le Festival du film de Sundance et ailleurs dans le monde?

A.O’S. Le documentaire a été présenté en première au Festival RIDM (Rencontres internationales du documentaire de Montréal) en novembre 2022 et il a remporté le prix Magnus-Isacsson qui concerne la relève faisant un film témoignant d’une conscience sociale. Je suis honorée d’avoir reçu cette récompense portant le nom d’un cinéaste que j’admirais. Je l’ai d’ailleurs rencontré quelque temps avant son décès. Cela date de plus de dix ans. Il m’avait encouragée à faire des films. Il m’a présenté sa petite fille qu’il a adoptée d’Haïti. Il était réellement une bonne personne qui faisait des films engagés comme je les aime. Le film a été présenté à un festival panafricain à Cannes, un festival de la diaspora à New York et au festival ReelWorld à Toronto. Le documentaire a donc déjà commencé sa tournée des festivals et cela continuera. Cette année, je dois me rendre au Hamilton Film Festival. Le documentaire continuera à voyager à travers le monde. Je suis vraiment très contente et je me déplace avec le film lorsque cela est possible pour le partager avec le public. J’aime qu’on échange sur nos expériences.

P.T. Lors d’une entrevue concernant son dernier film The Woman King, la réalisatrice Gina Prince-Bythewood a dit qu'elle aime produire ce qu'elle aimerait voir sur les écrans. Est-ce que vous partagez la même vision en tant que réalisatrice?

A.O’S. Tout à fait ! Les histoires que je mets à l’écran représentent ce que je souhaite voir et surtout ce que je veux raconter. C’est pour cela que je les produis et les réalise. Au fait, la raison principale est que j’ai toujours aimé raconter des histoires surtout celles qui me ressemblent où le fait d’être femme et noire compte. Je veux préconiser ces narrations. Vu qu’on ne voit pas souvent ces histoires, j’estime avoir une responsabilité d’œuvrer pour que ma vision soit partagée. Nous vivons à une époque excitante parce qu’il y a de plus en plus de réalisatrices racisées qui travaillent dans le domaine de la fiction et du documentaire. Je trouve magnifique de voir que ces voix qui ont été marginalisées puissent être entendues.

P.T. Comme actrice, y-a-t-il un rôle qui vous tient à cœur que vous aimeriez interpréter? Vu que vous êtes une ballerine, est-ce qu’il y en a une que vous souhaiteriez jouer? Si oui, pourquoi?

A.O’S. J’ai déjà interprété plusieurs beaux rôles. Je n’arrive pas à penser à un rôle en particulier que j’aimerais jouer. Je peux par contre partager les caractéristiques des personnages qui me plaisent: des femmes qui ont un objectif important et fort non seulement pour elles mais aussi pour leurs communautés que ce soit la famille, la société et même le monde tout en faisant le nécessaire pour combattre les obstacles internes et externes afin de mener à bien cette quête. J’aime donc vraiment interpréter ce genre de rôles. J’en ai fait surtout au théâtre et je serais très ouverte à en jouer davantage. Je ne suis plus ballerine. Je l’ai été. Je le fais encore mais ce n’est que pour le plaisir. Si je devais danser un rôle, ce serait celui d’Angélique que j’ai interprété au théâtre-documentaire. Je crois que danser ce personnage serait très beau pour les raisons expliquées auparavant. Je vois de la beauté en mettant l’histoire de cette femme noire qui a été occultée. Ce serait magnifique de mettre ce récit dans un ballet.

P.T. Cela prend souvent des années pour qu’un film ou un documentaire soit fait? Que faudrait-il effectuer pour faciliter et accélérer le processus?

A.O’S. Il est tout à fait vrai que cela prend des années pour qu’un documentaire se fasse. Dans mon cas, il est certain que dix ans c’était trop mais c’est bien que cela prenne quelques années. J’écris également mes films ce qui demande du temps. En tant que scénariste, le film doit avoir le temps de naître, grandir pour enfin arriver à maturité. Souvent les scénaristes diront que cela prend entre un et trois ans pour terminer un scénario. Une fois que cela est prêt, je suis d’accord que le processus doit être accéléré quand l’équipe de réalisation est présente. D’après moi, le processus doit s’accélérer au niveau des institutions. Il serait souhaitable qu’il y ait des dates de dépôt tout au long de l’année. Je rêve peut-être car je connais la réalité. J’ai travaillé de l’autre côté, c’est-à-dire au niveau des institutions de financement et cela peut prendre beaucoup de temps d’analyser les dossiers. Les choix sont parfois déchirants. Si j’étais milliardaire, je créerais un fonds pour les cinéastes et ils seraient tous financés si leurs histoires présentées sont intéressantes [Rires]. Ce serait beaucoup plus rapide.

P.T. Il peut être très difficile de détecter quel scénario fera un excellent film. Même des acteurs expérimentés se trompent parfois. Sur quels critères vous vous basez pour reconnaître un très bon long-métrage en tant qu’actrice?

A.O’S. Je suis une actrice mais humblement je ne fais pas présentement partie de celles qui peuvent déclencher un scénario au Québec. Je veux dire que souvent les rôles ne me sont pas donnés, je dois auditionner. J’accepte 90% de ce que je reçois parce que j’aime jouer tout simplement. Si je dis non c’est lorsque le rôle est beaucoup trop stéréotypé ou que le message du film ne me plaît pas. Je n’ai pas d’attirance pour les films d’horreur par exemple.

P.T. Souvent, dans le milieu cinématographique et télévisuel en Occident, il n’y a pas beaucoup de rôles s’adressant aux minorités. Que faut-il changer pour que les acteurs quelles que soient leurs origines aient accès à ces rôles et qu’on arrête de les cantonner dans des clichés? Avez-vous réussi à décrocher des rôles où la nationalité n’était pas spécifiée dans le scénario?

A.O’S. La prise de conscience de la part de tous s’avère cruciale. Depuis 2020, « grâce » à Black Lives Matter et malheureusement suite à la mort de George Floyd, on assiste à une plus grande prise de conscience à travers les émissions télévisées et les annonces publicitaires. J’observe une énorme différence entre avant et après 2020 au niveau de la diversité. Il est vrai qu’il y a encore du travail à faire concernant les clichés. Je crois à la possibilité du changement si les gens se trouvant derrière la caméra sont conscientisés. Cela prend donc des gens éveillés au niveau des scénaristes, des décisionnaires, des réalisateurs, etc. La diversité doit être aussi visible devant et derrière la caméra. D’après moi, c’est ce que cela prend afin de voir rapidement des transformations.

J’ai réussi à décrocher des rôles où la nationalité n’était pas spécifiée dans le scénario. De plus en plus depuis 2020, les directeurs de casting se disent que tel personnage pourrait être racisé. On voit des couples interraciaux par exemple. Il y a des gens qui pensent qu’il s’agit d’une mode, seul l’avenir nous dira ce qu’il en est véritablement. En d’autres mots, le futur nous fera savoir si ces changements sont sérieux et de longue durée.

P.T. Tel que mentionné cela vous a pris dix ans pour faire votre documentaire. Avez-vous eu des obstacles? Si, oui, comment les avez-vous surmontés ? Vous n’aviez que 24 ans il y a dix ans. Peu de documentaristes sont jeunes. Est-ce que votre jeune âge aurait joué contre vous ?

A.O’S. Tous les documentaristes quelles que soient leurs origines, etc. ont des obstacles. Il est vrai que pour les personnes racisées les obstacles sont plus importants. Il y a dix ans quand je disais que les rôles associés aux femmes noires étaient stéréotypés on me regardait avec un point d’interrogation dans leurs yeux. Certains me défiaient ou déniaient mes propos. Ceci a même eu lieu lorsque ma sœur et moi proposions notre projet. Les choses ont commencé à bouger pour nous en 2018 quand Native TV est arrivé dans le paysage télévisuel québécois. À ce moment, on a recommencé à présenter l’esquisse de notre documentaire. Native TV est dirigé par un homme racisé. Quand on a présenté notre plan pour le film, il a tout de suite compris de quoi on parlait. Il a saisi l’importance du sujet car il s’est senti interpellé. Il a des jeunes filles (et aussi des fils) et il souhaitait qu’elles voient ce documentaire. Il s’agit d’un homme conscientisé car il savait qu’il existe des images problématiques véhiculées dans les médias. Il s’est donc associé au projet et le film sera diffusé sur Native TV plus tard en 2023. J’ai ainsi surmonté les obstacles en ne lâchant pas. Je n’ai pas abandonné parce que je suis têtue [Rires] et aussi parce que ce projet est dans mon cœur. Il ne s’agit pas d’un projet pour l’argent parce que je n’aurais pas persisté à le concrétiser pendant dix ans. Comme on le dit, la marche de l’humanité commence par un pas. Je ne crois pas qu’il y ait de l’âgisme, au contraire. C’est plus les cinéastes d’un certain âge qui éprouvent des difficultés. Le même phénomène se produit pour les acteurs. Je pense que dans mon cas, tout se jouait au niveau du thème que je souhaitais traiter dans mon documentaire. D’après moi, cela a été l’obstacle principal. La mort de George Floyd a changé beaucoup de choses dans divers milieux.

P.T. J’adore faire ces commentaires et poser cette question aux réalisatrices: En 2010, aux Oscars, Kathryn Bigelow a brisé le plafond de verre avec son film Démineurs. Elle est ainsi devenue la première femme de toute l’histoire des Oscars a remporté le prix en tant que réalisatrice. La réalisatrice indo-canadienne Deepa Mehta a obtenu une nomination aux Oscars en 2007 pour la catégorie des meilleurs films en langues étrangères. Son film était Water qui traitait et focalisait sur les problématiques féminines (ce qui ne fut pas le cas pour le long–métrage de Bigelow). Vous avez réussi à faire un excellent documentaire concernant la condition féminine. Qu'est-ce que cela prendra afin que les réalisatrices aient une plus grande reconnaissance pour leurs films sur les conditions féminines?

A.O’S. La majorité des réalisatrices que je connais qui produisent des films sur la condition féminine ne le font pas par besoin de reconnaissance. Elles s’y mettent par conviction. Elles réalisent des films parce qu’elles ont des choses à raconter et elles souhaitent apporter des changements dans la société. La reconnaissance peut servir de cerise sur le gâteau mais ce n’est pas la motivation principale et première pour faire un film car c’est tellement long et difficile. La reconnaissance peut être éphémère et imprévisible. Je ne crois pas que ce soit une motivation assez forte et centrale pour que cela serve de moteur. Je ne sais pas ce que cela prendra pour qu’il y ait une réelle reconnaissance. Peut-être que cela prendrait plus de femmes qui votent pour ce type de prix.

P.T. Vous portez particulièrement trois chapeaux en tant qu’actrice, scénariste et réalisatrice? Avez-vous une préférence ? Si oui, laquelle et pourquoi ?

A.O’S. Je dirais que c’est très complémentaire. Je mettrais ensemble scénariste et réalisatrice. Je sépare ce qui concerne l’aspect actrice. En tant que comédienne, je suis au service de l’histoire que veut raconter un réalisateur ou réalisatrice qui se trouve derrière la production d’une série télévisée ou d’un film. Je perçois mon rôle d’actrice comme une collaboration collective. Je suis mon propre instrument en utilisant mon corps (incluant tout ce qui est gestuel), ma voix, mon attitude, mes émotions, etc. Avec tout cela, je crée un personnage au sein d’une équipe ce que je trouve magnifique et magique. En revanche, quand je suis scénariste l’histoire vient de moi. Comme actrice, je n’ai pas de pouvoir sur l’histoire générale mais j’en possède en tant que scénariste et réalisatrice. Je peux raconter la narration selon mon point de vue. Comme actrice, j’ai un pouvoir sur la façon dont je joue mon personnage mais pas sur le reste. Cela me permet d’avoir un lâcher-prise ce que j’apprécie. En tant que réalisatrice et scénariste on a la responsabilité de faire en sorte que sa vision tienne du début à la fin. Je trouve cela superbe. En réalité, j’aime le lâcher-prise et le côté leadership. Une actrice fait son travail sur le plateau et peut partir après. Une réalisatrice et scénariste doivent travailler sur le même projet pendant des années. L’implication n’est donc pas la même mais j’aime les trois chapeaux.

P.T. Quels sont les futurs projets que vous pouvez partager avec nous? Est-ce que vous seriez intéressée à faire un documentaire intitulé Le mythe de l’homme noir?

A.O’S. Je travaille sur plusieurs documentaires-fictions en développement. Ce sera le premier projet financé qui verra le jour. Généralement, les projets que je développe ont des thèmes similaires. Ils concernent particulièrement le fait d’être femme et noire, la quête de justice sociale et d’équité, les relations harmonieuses entre les humains. Je serais plus intéressée à produire Le mythe de l’homme noir que plutôt de le réaliser. Je travaillerais avec un réalisateur pour mettre en avant sa vision. Je crois que ce serait un film fort.

P.T. Cela serait hot [Rires].

A.O’S. Absolument! Cela pourrait faire partie de mes futurs projets.

P.T. Si vous voulez faire éventuellement un long-métrage de fiction, quel est le thème qui vous tient le plus à cœur et pourquoi?

A.O’S. J’affectionne beaucoup le thème sur la fraternité/sororité. Au fait, je suis pour l’unité entre les peuples. Je raconte dans mes histoires l’unité à travers la diversité. Mon long métrage pourrait concerner ce sujet.

P.T. Vous êtes polyglotte. De grandes actrices comme Ingrid Bergman et Romy Schneider parlaient également plusieurs langues et ont joué dans des films de langues diverses. Cela fait-il aussi partie de vos projets?

A.O’S. J’adorerais jouer dans d’autres langues. Pour l’instant, j’ai joué en anglais et français. J’attends les propositions pour les autres langues [Rires].

P.T. Vu qu’il y a peu de réalisatrices et de jeunes réalisateurs, quels conseils avez-vous pour ceux qui souhaitent suivre cette voie ?

A.O’S. Je tiens à dire quelque chose qu’on n’entend pas assez. Il s’agit de l’importance de travailler sur soi pour faire des films parce qu’on peut se décourager facilement. Il est possible aussi de se laisser distraire ou de se disperser aisément. Pour créer un film, on doit être très focalisé. Il faut être très fort parce qu’il n’est pas évident de diriger une équipe de tournage. Il importe d’être capable de travailler avec les autres. Un film implique des gens s’occupant du décor, du maquillage, de la coiffure, des vêtements, des caméramans, etc. J’ai fait beaucoup de travail sur moi pour continuer à faire le film. Il importe de faire le nécessaire pour progresser sur le plan personnel et professionnel. Nos diverses expériences nous forgent. Mes voyages m’ont permis de me découvrir et d’aller à la rencontre des autres. J’ai fait de nombreuses formations de développements personnels. Tout cela permet de développer le caractère et d’accroître la confiance. On se sent davantage armé sur un plateau de tournage et/ou pour présenter des projets aux décideurs.

P.T. Merci Madame O’Shun pour cette riche entrevue qui inspirera certainement beaucoup de personnes!

Filmographie

Cinéma

• 2004 : The Day After Tomorrow
• 2009 : Un cargo pour l'Afrique
• 2012 : Sur la route
• 2016 : Les 3 P'tits Cochons 2
• 2017 : Oscillations
• 2018 : La Chute de l'empire américain
• 2019 : Cassy

Télévision

• 2018 : Le Monde magique de Lorenzo
• 2014-2016 : Les Beaux Malaises
• 2015 : Nouvelle Adresse (série TV, diffusée sur ICI Radio-Canada Télé): l'infirmière
• 2015 : Jonathan Strange et Mr Norrell (mini-série) : la mère de Stephen
• 2014 : Série noire: New-York girl
• 2013 : Le Gentleman (série télévisée) : Galia
• 2011 : 30 vies: Manon Dubreuil

Réalisatrice

• 2010 : Les Mains noires (documentaire)
• 2010 : Médecins sans résidence (court-documentaire)
• 2022 : Le Mythe de la femme noire (documentaire)
Théâtre
• 2018 : Le Dernier Sacrement

Sa page officielle FB: https://www.facebook.com/ayana.s.m.oshun/?locale=fr_CA
Son Instagram: https://www.instagram.com/ayanaoshun/?hl=fr
Sa société de production : https://bam-oshun.com/
Sur vimeo Le mythe de la femme noire peut être loué: https://vimeo.com/ondemand/lemythedelafemmenoire
À ce lien, nous vous invitons à lire un texte percutant que la réalisatrice a rédigé en juillet 2020: https://mainfilm.qc.ca/membres/ayana-oshun/

 

 

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1 Les ancêtres de Brown sont arrivés depuis des siècles au Canada. Les Noirs sont arrivés au Canada quasiment durant la même période que les Afro-Américains.
2Sources:https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1986521/universite-ottawa-diplome-record-anthaea-grace-patricia-dennis,https://www.msn.com/fr-ca/actualites/R%C3%A9gion%20de%20Gatineau/rencontre-avec-anthaea-grace-patricia-dennis-plus-jeune-dipl%C3%B4m%C3%A9e-universitaire-au-canada/ar-AA1cnwpK?ocid=winp1taskbar&;cvid=d3b37fef519348f9aa726df522cbb846&ei=10
3 Source: https://www.youtube.com/watch?v=Z2P3RENiYW8&;t=6s
4 Source : https://www.tvanouvelles.ca/2019/11/25/il-manque-1400-medecins-au-quebec .
5 Source : Souffrance psychique des sans-abri, Dr Alain Mercueil, (2012), 221 pages
6 Misogynoir Transformed, Moya Bailey, (2021), p. 6
7 Néologisme et anglicisme provenant du mot anglais colorism créé par les Afro-Américains. Ce terme francisé concerne la discrimination entre Noirs notamment fondée sur l’idéologie des différentes couleurs de peau. Cette intériorisation est une conséquence de l’esclave et de la colonisation subis par les ancêtres. Ce problème n’est pas propre aux Noirs, Par exemple, il existe des Asiatiques qui font des opérations aux yeux pour changer leurs formes.
8 L’auteur Gilles Gandy a défini ce vocable de manière très intéressante: Il s’agit d’un facteur émotionnel où une population doutant de sa propre valeur fera une projection sur une autre population considérée plus faible.
9 Il s’agit des universités historiquement afro-américaines
10 Source : https://www.nytimes.com/2021/06/28/business/economy/black-workers-racial-pay-gap.html
11 Néologisme signifiant la haine envers les femmes noires, en d’autres mots la misogynie envers les femmes noires. Ce terme prend tout son sens car les Noires subissent souvent une triple oppression
12 Selon Forbes.fr seulement en 2018 la société a gagné environ 558 millions de dollars grâce entre autres à l'usage de l'inclusivité de la clientèle
13 Il s’agit du roman classique de Toni Morrison, lauréate du prix Nobel de littérature
14 Il s’agit d’un acronyme au Québec pour le collège d'enseignement général et professionnel.
15 Mulatto est mulâtre en français, un terme raciste dont l’étymologie provient de l’espagnol: mulato (mulo) qui signifie mulet.