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L’ancien empereur de l’Éthiopie: Hailé Sélassié PDF Print E-mail
Written by Gaspard-Hubert Lonsi Koko   
Tuesday, 03 July 2018 00:00

La plus grande majorité des rastas considèrent, à n’en pas douter, Haïlé Sélassié Ier comme le « dirigeant légitime de la Terre » (Earth’s rightful ruler) et le Messie du fait de son ascendance, selon la tradition éthiopienne, de la dynastie dite « salomonide ». Celle-ci remonte de la reine de Saba, aux rois Salomon et David. Tafari Makonnen1 naquit le 23 juillet 1893 à Ejerza Goro, une ville de la province du Harar dans l’empire d’Éthiopie. D’ailleurs, le très populaire chanteur jamaïcain Robert Nesta, connu mondialement sous le pseudonyme de Bob Marley, n’attendit pas l’autorisation d’Addis-Abeba pour l’immortaliser dans ses compositions. 

Dans une chanson intitulée Selassie Is the Chape2, Bob Marley l’expliquait en ces termes : 

«Haïlé Sélassié est le temple
Le pouvoir de La Trinité
La Trinité. La Trinité il est.

Construis ton esprit dans ce sens,
Sers le Dieu vivant et vis,
Le Dieu vivant, le Dieu vivant et vis.

Mets les problèmes dans les mains de Sélassié,
C'est le seul Roi des Rois,
le Roi des Rois il est.

Le conquérant Lion de Judée,
Triomphalement nous devons tous chanter,
Nous devons tous chanter, nous devons tous chanter.
Je cherche et je cherche,
Le livre Sacré de la vie,
Dans la Révélation,
Regarde ce que j’ai trouvé.

Haïlé Sélassié est le Temple,
Tout le monde devrait le savoir,
Tous devraient le savoir, tous devraient le savoir,
Cet homme est l’ange,
Et notre Dieu, le Roi des Rois.»

 

Le rastafarisme tire donc son origine du ras Tafari Makonnen, le dernier empereur d’Éthiopie qui régna, sous le nom de Haïlé Sélassié Ier, d’abord de 1930 à 1936 et, ensuite, de 1941 à 1974. Le souverain éthiopien n’avait jamais voulu reconnaître l’occupation de son pays, entre 1935 et 1941, par l’Italie. Ainsi considérait-il avoir encore régné pendant cette période, ayant carrément ignoré l’administration coloniale italienne.

Après que lidj Iyasou V fut déposé le 27 septembre 1916 par une assemblée de nobles avec l’accord du patriarche de l’Église orthodoxe, accusé de s’être converti à l’islam et d’être un apostat, la fille de Ménélik II et tante d’Iyasou V, Zewditou, fut proclamée impératrice d’Éthiopie sous le nom de Zewditou Ière et son cousin Tafari Makonnen fut élevé au rang de prince héritier et régent de la couronne. En sa qualité de régent, portant le titre de négus3 du 7 octobre 1928 au 2 avril 1930, ras Tafari Makonnen exerça la réalité du pouvoir durant le règne de Zewditou Ière. Après le décès de l’impératrice, il fut couronné empereur le 2 novembre 1930 sous le nom de Haïlé Sélassié Ier, pouvoir de la Trinité, lors d’une cérémonie organisée à la Cathédrale Saint-Georges d’Addis-Abeba. Ras Tafari Makonnen reçut à cette occasion plusieurs titres. Il devint à la fois le Negusse Negest4 d’Éthiopie, le seigneur des seigneurs, le lion conquérant de la tribu de Juda, la lumière du Monde, ainsi que l’élu de Dieu.

En matière de politique internationale, l’empereur Haïlé Sélassié Ier avait déjà obtenu en 1923, en tant que prince héritier et régent de la couronne, l’admission de son pays à la Société des Nations (SDN)5. Cette affiliation n’empêcherait nullement le cruel isolement dans lequel se retrouverait l’Éthiopie au moment de l’invasion de son territoire par l’armée de l’Italie fasciste de Benito Mussolini en 1935, opération ayant obligé le Négus à commander en personne les troupes éthiopiennes et à les engager dans une résistance valeureuse, certes, mais insuffisante.

En politique intérieure, emboîtant le pas à ses prédécesseurs, Haïlé Sélassié Ier avait tenté officiellement de supprimer la pratique de l’esclavage par des décrets pris en 1918 et 1923. L’empereur décréterait également la première Constitution écrite qui entrerait en vigueur en 1931, mettant en place une Assemblée nationale avec deux entités dont une chambre de sénateurs. Toujours dans le cadre de la politique progressiste de ses prédécesseurs, le tout nouveau Négus poursuivit un vaste programme de modernisation sociale et économique, avec des succès souvent mitigés, notamment en matière de réformes agraires. Durant son règne émergèrent les premières écoles, les universités, le premier hôpital, la compagnie aérienne Ethiopian Airlines et celle d’électricité, la radio et la télévision ainsi qu’une armée moderne.

À la suite de la seconde invasion italienne, l’empereur Haïlé Sélassié Ier, lâché par la communauté internationale, s’exila à Bath en Angleterre après avoir prononcé à la tribune de la SDN, en juin 1936, un long discours dans le but d’être soutenu : 

« Je suis venu en personne, témoin du crime commis à l’encontre de mon peuple, afin de donner à l’Europe un avertissement face au destin qui l’attend si elle s’incline aujourd’hui devant les actes accomplis »6.

Les Italiens finalement étant chassés du territoire éthiopien lors de la Seconde Guerre mondiale par les soldats britanniques, secondés dans cette difficile et complexe opération par des forces françaises libres et belges venues du Congo-Léopoldville, Haïlé Ier Sélassié recouvrit une totale souveraineté dans son pays. L’empereur obtint par la suite l’entrée de l’Éthiopie dans l’Organisation des Nations Unies, dès sa fondation, et s’intéressa de plus en plus au positionnement des pays non-alignés par rapport à la Guerre froide, participant ainsi à la conférence de Bandung7. Pour contenir la menace égyptienne, en particulier sur la question du contrôle des eaux du Nil, il se rapprocha davantage des pays africains en œuvrant à la création d’une organisation panafricaine. Il fallait à tout prix isoler le Raïs8 Gamal Nasser. Lorsque l’Organisation de l’unité africaine9, OUA en sigle, vit le jour en 1963, elle établit son siège à Addis-Abeba à l’instigation de l’empereur.

La résistance de l’empereur Haïlé Sélassié face à l’Italie coloniale, dirigée par un gouvernement fasciste et alliée de l’Allemagne hitlérienne, servit de modèle aux mouvements indépendantistes à travers l’Afrique. En tant que l’un des premiers représentants du continent noir sur la scène mondiale, 

« il alla jusqu’à rompre les relations diplomatiques avec le Portugal en guise de protestation contre la politique coloniale de Lisbonne et déposa plainte à la Cour internationale de la Haye contre la politique de discrimination raciale pratiquée en Afrique du Sud. »10 

Le 12 septembre 1974, à l’initiative du lieutenant-général Aman Mikael Andom, Haïlé Sélassié fut destitué et enfermé dans l’ancien palais de l’un de ses prédécesseurs en la personne de Ménélik II. La constitution fut alors suspendue, le parlement dissous et la loi martiale proclamée. Finalement, l’empereur serait étouffé sous un oreiller, le 27 août 1975,sans aucune autre forme de procès. Officiellement, il mourut des suites d’une opération de la prostate.

En novembre 2000, plus de vingt-cinq années après la mort du dernier empereur d’Éthiopie, sa dépouille fut conduite à sa dernière demeure, la cathédrale orthodoxe de la Trinité à Addis-Abeba. Le patriarche et les évêques, en tenues de cérémonie et arborant d’énormes croix d’or et d’argent, célébrèrent une messe à la mémoire du Négus, renversé en 1974, au moment où le cercueil quitta le mausolée du centre de la capitale où il se trouvait depuis huit ans. Après avoir parcouru les rues de la capitale, le corps de l’empereur fut déposé dans l’après-midi dans un tombeau en granit de la crypte de la cathédrale où il reposerait désormais. Ses restes avaient été enterrés sous des toilettes du palais impérial, affront caractérisé ayant été fait contre un homme qui avait exercé un pouvoir à peu près absolu pendant quarante-quatre ans. La dépouille de l’empereur avait été exhumée une première fois en 1992, une année après la chute du régime marxiste de Mengistu Haïlé Mariam, et déposée au mausolée d’Addis-Abeba où reposaient l’empereur Ménélik II et trois autres membres de la dynastie. 

D’aucuns gardent dans la plus grande majorité de l’empereur Haïlé Sélassié Ier l’image d’un réformateur antifasciste, doublé d’un panafricaniste féodal.

« Ses admirateurs le créditent d’avoir sorti son pays du Moyen Âge pendant son long règne de 44 ans et [...] réussi à lui donner, grâce à sa diplomatie tous azimuts et son charisme, un rayonnement international que peu de nations africaines connaissaient à l’époque. Lors de son couronnement en 1930, l’Éthiopie s’appelait encore Abyssinie. La présence du Négus vieillissant aux funérailles de Kennedy et de [Charles de Gaulle], partageant la tribune avec les grands du monde, [illustra] combien l’image internationale de ce pays avait changé sous la houlette de son souverain réformateur. »11


[Note de la rédactrice en chef: Cette biographie provient de l’ouvrage Les figures marquantes de l’Afrique subsaharienne de Gaspard-Hubert Lonsi Koko. Il s’agit d’un livre fort intéressant qui devrait être enseigné notamment dans l’ensemble des écoles et universités afro-antillaises ainsi qu’aux « HBCU » une fois que ce serait traduit en anglais.  Cet ouvrage devrait également être traduit dans les langues africaines et créoles.  Ce livre rend ses lettres de noblesse à l'Afrique].

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1 Tafari signifie « celui qui est redouté », tandis que Makonnen veut dire « grand, noble ». 
2 Sélassié est le Temple.
3 Negus, ou négus, est un titre de noblesse éthiopien, équivalent de roi.
4 Roi des Rois.
5 La Société des Nations était une organisation internationale introduite par le Traité de Versailles en 1919, lequel était élaboré au cours de la Conférence de paix de Paris pendant laquelle avait été signé le Covenant ou le Pacte qui l’institua, afin de préserver la paix en Europe à la fin de la Première Guerre mondiale.
6 Les rois dans la guerre 1939-1945, Point de vue -Hors-série, Histoire, du 5 octobre 2010, p. 13.
7 Du 18 au 24 avril 1955 eut lieu à Bandung, sur l’île de Java, la première conférence afro-asiatique, ayant réuni vingt-neuf pays dont la plupart étaient décolonisés depuis peu et appartenaient au Tiers-Monde. L’initiative de ce sommet revint notamment au Premier ministre indien Jawaharlal Nehru, soucieux de créer sur la scène internationale un ensemble de puissances qui échapperait aux deux Grands et à la logique de guerre froide. Le texte adopté au terme de la conférence rejeta le racisme et le colonialisme, réclama une coopération économique mondiale pour lutter contre le sous-développement et tenta de promouvoir une charte des relations entre États. Mais il ne parvint pas à déterminer une ligne commune face aux États-Unis et à l’ancienne URSS : aux non-engagés comme l’Inde et l’Égypte s’opposèrent, d’une part, les pays pro-occidentaux comme le Pakistan et la Turquie, et d’autre part les pays communistes comme la Chine et le Vietnam du Nord. Si Bandung marqua l’irruption du Tiers-Monde sur la scène internationale, le non-alignement ne naquit qu’en juillet 1956, avec la conférence de Brioni en Yougoslavie ayant réuni Gamal Nasser, Jawaharlal Nehru et Josip Broz Tito.
8 Mot arabe signifiant le chef.
9 L’actuelle Union africaine.
10 In N comme Négus : Haïlé Sélassié, dernier empereur d’Éthiopie, chronique de Tirthankar Chanda diffusée en août 2015 sur Radio France Internationale.
11 Ibidem

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À propos de l’auteur:

Gaspard-Hubert Lonsi Koko se décrit comme un essayiste, réformiste, romancier et analyste politique. Il est né à Léopoldville (actuellement Kinshasa). Il demeure à Paris depuis 1983.  Il fait la navette entre la France et le Congo. Il a rédigé divers articles et livres sur les problématiques se rapportant au dialogue Nord-Sud, au socialisme, aux questions migratoires, à la cohabitation humaine, à la géopolitique, etc.

L’auteur qui se définit aussi comme un militant politique occupe la fonction de Premier Vice-Président de l’Alliance de Base pour l’Action Commune (ABACO).  Vous pouvez trouver sa bio plus détaillée à ce lien: http://plus.wikimonde.com/wiki/Gaspard-Hubert_Lonsi_Koko. Vous pouvez aussi contacter l’auteur à ce courriel  This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it .