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Ils m'ont mariée de force: Critique du livre PDF Print E-mail
Written by Patricia Turnier   
Wednesday, 20 March 2024 00:00

L’auteure est une jeune franco-pakistanaise arrivée en France à huit mois.  Elle a donc grandi en France et intégré les valeurs de la République.  Plusieurs thèmes sont traités dans l’ouvrage:  le mariage forcé,  la misogynie, les difficultés vécues par les immigrants, les problèmes scolaires, la violence conjugale et familiale, la discrimination, l’exploitation, l’abus parental et familial, le patriarcat, les stratégies et mécanismes utilisés pour imposer des normes culturelles ne convenant pas du tout à la première génération d’enfants des immigrants vivant au pays d’accueil provoquant des tiraillements chez eux, le colorisme (discrimination intra-communautaire où souvent la couleur de peau structure les rapports sociaux et économiques), le contrôle familial, le tribalisme, l’endogamie,  les rapports de pouvoir entre les genres et entre les parents-enfants,  etc.  Riaz a dû assumer des responsabilités d’adulte qui ne lui revenaient pas dès l’âge d’au moins dix ans ce qui a eu des conséquences sérieuses comme le retard scolaire.

Selon la Banque Mondiale, en 2019 le taux d’alphabétisation des Pakistanaises âgées de plus de 15 ans était seulement de 46%.  On apprend dans l’ouvrage que 45.8% des Pakistanaises particulièrement issues des régions rurales sont alphabétisées.  L’autrice parle de sa mère dans son livre qui n’a pas eu accès à l’éducation et qui s’est donc retrouvée avec peu d’options dans la vie.  En 2022, l’Unesco estimait qu’environ 771 millions de personnes dans le monde étaient analphabètes, des femmes pour la plupart.  L’instruction pour tous devrait être obligatoire et ce, jusqu’à 18 ans partout dans le monde.  Tous ces jeunes devraient aussi avoir accès à une éducation élitaire.  En sus, il devrait être interdit dans tous les pays de marier des jeunes avant 18 ans et aucune dérogation ne devrait être permise.  L’auteure traite de la réalité des Pakistanaises dans son livre mais leurs conditions concernent malheureusement bien d’autres femmes quand on s’attarde aux statistiques mentionnées ci-dessus.

La culture pakistanaise est collectiviste et la culture française s’avère plutôt orientée vers l’individu ce qui a dû créer des dilemmes et bien des incompréhensions entre l’auteure et son père.  D’ailleurs, l’autrice n’utilise jamais dans son livre le vocable papa, père est parfois employé mais on retrouve surtout le prénom Ikbal.  Il est ardu d’avoir de bonnes relations pères-filles lorsqu’il s’agit de cultures où le patriarcat et la misogynie règnent.

À cet égard, l’autrice traite beaucoup dans son livre de sa relation pénible et complexe avec son père.  Cette histoire va aussi au-delà de la culture car il y a des parents de toutes origines qui croient que leurs rôles consistent à façonner leurs enfants comme s’ils étaient une pâte à modeler pour en faire des clones.  En d’autres mots, les parents doivent accepter leurs enfants tels qu’ils sont tout en respectant leur personnalité.  Ils n’ont pas à les dresser comme des animaux, les contrôler et/ou les dominer.  Leur progéniture n’a pas à leur servir de faire-valoir ou de représenter des trophées (cette situation se produit souvent quand les parents vivent par procuration, de plus l’enfant n’a pas à devenir le prolongement narcissique des parents).  Malheureusement, il existe donc des parents se croyant dans la toute-puissance qui ne permettent pas à leurs enfants d’être eux-mêmes et cela peut se manifester de diverses façons.  Les conséquences pour ces jeunes sont multiples:  certains deviendront mythomanes ou auront des problèmes de comportement, d’autres s’autocensureront ou ne s’autoriseront pas à faire ce qui les anime véritablement, certains seront éteints, etc.

Ce qui est intéressant chez l’autrice c’est qu’elle dénonce les mariages forcés chez les enfants-adultes et donc pas uniquement les mineurs.  En sus, elle expose la réalité concernant les gars qui sont aussi contraints de se marier contre leur gré même s’il y en a beaucoup moins que des femmes.  Certains de ces hommes mèneront une double vie.  Pour sauver les apparences, ils auront leurs femmes officielles et vivront une relation cachée avec celles qu’ils aiment réellement.  D’ailleurs, elle en parle dans cette excellente entrevue:   https://youtu.be/smBt8WgKBy0?t=1.

Il aurait été intéressant pour les lecteurs de savoir quelle est la branche de l’Islam à laquelle l’autrice et sa famille appartiennent et si ses proches sont plus traditionnels et/ou ultra-conservateurs que les autres Franco-Pakistanais.  Toutefois, il est évident que l’auteure s’est retrouvée dès son plus jeune âge dans une culture comprenant notamment ses codes, ses traditions et ses coutumes qui ont eu une influence considérable sur l’orientation que devait prendre son destin.  Il a été pénible pour elle de composer avec tout cela.  Il est souvent difficile de rompre avec le passé surtout lorsque le poids des traditions représente l’enjeu principal.

Les femmes doivent arrêter de croire au mensonge universel leur faisant accroire qu'elles ne sont rien si elles n'ont pas un homme dans leur vie.  À cause de cette chimère, plusieurs se sont retrouvées dans des mauvais mariages, ont perdu leur santé physique et/ou mentale et ont même été tuées.  D'autres ont vieilli prématurément.  En outre dans le livre, on apprend une leçon de vie très importante à savoir qu'en thérapie l'auteure a compris qu'on ne doit jamais attendre d'un(e) partenaire qu'il/elle doit guérir les blessures de l'enfance.  J'ajouterais même qu'un parent ne doit pas avoir ce genre d'attente de sa progéniture et de ne pas exiger que ses enfants accomplissent des rêves désirés par lui, en d'autres mots ne pas vivre par procuration à travers ses enfants qui ne sont pas des objets.

Riaz a été mariée de force en étant adulte par un homme de son âge mais souvent ces pratiques se font avec des mineures qui se retrouvent avec des hommes beaucoup plus âgés, une forme de pédophilie qui devrait être prohibée partout dans le monde.  Ce qui est particulier dans l’histoire de Riaz concerne le fait que son époux s’est aussi senti contraint de se marier.  Cette histoire illustre clairement comment la pression de groupes familiaux et du poids des traditions peuvent représenter une arme qui ligote les gens.

L’auteure se sent moins respectée que d’autres dans sa famille car elle n’a pas fait de grandes études et a une passion pour la danse ce qui n’est pas bien perçu par certains musulmans.  Cette réalité va au-delà de cette jeune femme.  Nous ne devrions pas vivre dans un monde qui a créé une hiérarchie entre les métiers et professions.  Cette situation a créé bien des souffrances et des gens ont pris des chemins de carrière ne leur convenant pas tout simplement pour ne pas décevoir les personnes qui leur sont chères.  Il s’agit d’une problématique universelle, voire rédhibitoire pour plusieurs.

L’autrice conserve l’espoir qu’avec ses neveux les choses changeront puisqu’ils font partie de la troisième génération de sa famille vivant en France. Elle souhaite que ces transformations permettent de préserver ce qu’il y a de plus beau de sa culture. Cet ouvrage représente une excellente réflexion sur la réalité des jeunes vivant en Occident avec une double culture. Riaz garde en elle les valeurs de ces cultures qui lui sont les plus précieuses. L’auteure a exprimé dans son livre désirer devenir une voix pour ceux souhaitant mener leur vie comme ils l’entendent. Elle a définitivement réussi avec son ouvrage.

J’ai beaucoup écouté la musique de Marvin Gaye en lisant cet ouvrage. Gaye ne demandait que d’être aimé par son père. Cela fait déjà trop longtemps que des enfants et enfants adultes souffrent. Espérons qu’il y ait plus de prise de conscience visant à détruire toutes formes d’oppressions. La liberté est importante pour l’autrice. D’ailleurs, le feu philosophe Rousseau du 18e siècle disait: «renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme».

Elle a osé dénoncer dans son ouvrage que plusieurs jeunes Franco-Pakistanais ont été mariés de force (ce type de pratique peut être perçu comme un viol).  Cette situation va au-delà de sa communauté. Nous entendons parler d’autres formes d’asservissement vécu par les jeunes femmes de la diaspora comme les mutilations génitales lorsqu’elles sont en vacances dans leurs pays d’origine.  Il y en a qui défigurent les femmes refusant un mariage forcé ou qui commettent des crimes d’honneur.  Toute forme de maltraitance ne devrait pas être tolérée.  L’abus familial peut aller très loin.  Certains parents, toutes origines confondues et peu importe la classe sociale déshéritent leurs enfants si ceux-ci n’obtempèrent pas à leurs désirs.

Une femme a le droit de choisir sa vie et la personne qui deviendra le père de ses enfants.  Riaz a choisi de vivre et elle a trouvé l’homme avec qui elle fondera sa famille.  Son parcours donne l’espoir à tous ceux qui cherchent leur propre chemin.  Les mariages forcés sont une forme de traite humaine et à nouveau cette situation concerne surtout les femmes.  L’auteure a écrit son livre pour que ces pratiques cessent.

Il s’agit du premier livre écrit par cette jeune franco-pakistanaise ce qui est tout à son honneur.  L’ouvrage est très bien rédigé et captivant.  Le livre devrait être adapté au cinéma.  Il est porteur d’un grand espoir pour ceux qui souhaitent s’en sortir de l’emprise culturelle et/ou familiale.  L’auteure est une jeune femme brillante qui traite de son vécu avec une grande lucidité et introspection.  Riaz est vaillante de s’exprimer et a le droit de le faire car sa santé mentale en a pris un coup.  Elle le fait aussi par prévention pour les autres qui souffrent et subissent l’omerta.  Il est fortement souhaitable que davantage de langues se délient car le silence donne du pouvoir à ceux qui ne devraient pas en avoir.  On vit à une époque permettant aux gens de dénoncer l’inacceptable.  Tout le monde peut avoir une plateforme et l’auteure l’utilise brillamment.  Il s’agit d’un des meilleurs livres écrit sur la réalité de la double culture vécue par une personne demeurant en Occident (il existe des Noirs vivant cela qui se font appeler oreos, des Asiatiques bananes, etc.).  La double culture s’apparente à la double conscience, un néologisme développé par le grand sociologue afro-américain W.E.B Du Bois.

La fin du livre offre des informations précieuses au niveau de la législation et des organismes pouvant aider les femmes notamment victimes de mariages arrangés et/ou forcés.  De plus, on y retrouve à l’appui des statistiques concernant ces difficultés permettant de connaître l’ampleur de la situation au niveau mondial.  Il s’agit d’un ouvrage important et utile qui devrait être traduit en plusieurs langues afin que les problématiques décrites soient enrayées.  Ce livre apporte un éclairage précieux sur la condition des femmes victimes de mariages forcés.  L’auteure reconquiert et affirme la dignité des femmes avec son combat.

Il existe des communautés culturelles qui traitent les femmes comme des éternelles mineures ne pouvant faire des choix pour elles-mêmes, etc. Elles doivent donc faire face de manière permanente à une autorité parentale et/ou familiale sans compter la pression de la communauté dans son ensemble. Ces femmes vont définitivement se retrouver dans le récit relaté dans le livre.

Il existe malheureusement des communautés culturelles fonctionnant comme des sectes ou des régimes dictatoriaux où l’on interdit les bornes et on se retrouve dans un carcan. Si l’un des membres refuse de suivre le modèle imposé et établi, il peut être ostracisé ce qui représente une grande violence psychologique. Il y a aussi des pays qui refusent de créer des refuges pour les femmes et enfants maltraités. L’auteure s’est retrouvée dans une prison à ciel ouvert. Les gens devraient avoir le droit de choisir leur vie. Briser le silence a fait de Riaz la persona non grata de sa famille.

L’autrice est une libre-penseuse et féministe qui dénonce les mariages forcés, l’infanticide des filles par des parents pauvres en raison du problème de dot au Pakistan (appelée jahez) s’inscrivant dans sa conjoncture historique et socio-économique pour les mariages, etc. Cet ouvrage a été écrit pour toutes les femmes bafouées et les enfants maltraités (y compris les enfants adultes) qui sont sous l’emprise de parents et/ou familles exerçant un contrôle permanent et qui les mettent dans une impasse. L’autrice a écrit son livre pour que tous ces gens ne sentent pas seuls et qu’ils puissent garder espoir malgré tout car elle a réussi à s’en sortir.

À nouveau, cet ouvrage est parmi l’un des meilleurs écrit par une enfant d’immigrants décrivant la réalité de ce que représente de grandir en Occident avec une double culture. L’histoire de Riaz est à la fois unique et commune à plusieurs personnes faisant partie de la première génération d’enfants nés de parents étrangers.  Les lecteurs sont plongés dans un autre univers où l’on découvre l’histoire du Pakistan (créé le 15 août 1947 et devenu une république islamique en 1984) s’inscrivant dans sa conjoncture socio-économique, ses traditions, ses coutumes, etc. Comme cela a été écrit, le livre devrait être adapté au cinéma et réalisé par la réalisatrice indo-canadienne sélectionnée pour un Oscar Deepa Mehta qui connaît bien la réalité des femmes de l’Asie du Sud.

En résumé, l’auteure traite non seulement de sa vie personnelle mais aussi du poids des traditions de son pays d’origine, le Pakistan. Elle est née dans ce pays d’Asie du Sud et est arrivée en France bébé. Elle exprime son déchirement entre la culture pakistanaise et française, ses combats, ses doléances, etc. Des experts en sciences sociales disent que cela peut prendre trois générations pour qu’il y ait une réelle adaptation dans la société d’accueil suite à l’immigration. Le parcours migratoire ne représente donc pas un phénomène banal. Une partie de la fratrie (les plus jeunes) de Riaz fait partie de la première génération de la famille née en France. Les parents immigrants doivent comprendre et admettre que leur monde dans lequel ils sont nés et ont grandi est différent de celui de leurs enfants au pays d’accueil surtout lorsqu’il s’agit d’une nouvelle nation avec d’autres us. En outre, ces jeunes doivent composer avec deux cultures tout en saisissant les différents codes et cherchant à les concilier. Certains se sentent tiraillés et éprouvent des difficultés identitaires.

L’autobiographie interpelle définitivement les lecteurs qui ne manqueront pas d’être portés à la réflexion. Malgré ses souffrances, Riaz aime son pays d’origine. La belle photo de couverture du livre témoigne de sa fierté de ses traditions pakistanaises avec son accoutrement doté de sa robe, son magnifique maquillage et ses bijoux bien assortis. D’ailleurs, la présentation de la couverture est à la hauteur du contenu de l’ouvrage. Ce dernier fait davantage prendre conscience de la réalité et des enjeux de la double culture particulièrement pour ceux connaissant peu cette situation.

Riaz est une femme déterminée qui donne une voix à ceux qui en sont privés et/ou ignorés. L’ouvrage brosse une analyse pertinente et perspicace sur les diverses thématiques traitées en lien avec sa culture. Refuser l’ordre établi peut coûter très cher. L’auteure a dû se chercher de l’aide professionnelle pour se reconstruire. Riaz parle pour tous ceux qui souffrent lorsqu’ils sont déchirés entre deux cultures. On n’a pas le droit de chercher à voler la vie d’autrui.

Tel que mentionné, l’auteure est vraiment courageuse car d’autres femmes musulmanes ont écrit leurs livres concernant les mariages forcés de manière anonyme et pas à visage découvert. L’autrice refuse toute forme d’oppression et qu’on tente de la figer dans des rôles qui ne lui conviennent pas. De façon chronique et depuis des décennies elle a été confrontée à l’incompréhension des adeptes du patriarcat avec ses multiples formes de violence, de ceux attachés aux valeurs culturelles et traditionnelles de son pays d’origine. Ces déchirements et dilemmes (empreints d’injonctions paradoxales) ont été douloureux à vivre. Ces gens n’ont pas cherché à saisir les raisons poussant cette jeune femme à vouloir choisir son propre destin. Elle a dû s’extirper seule de son gouffre d’assujettissement. Sa grande résilience l’a empêchée de sombrer et de se détruire. On n’a pas réussi à épuiser ses diverses ressources en essayant de l’asservir et de la rendre docile. Elle n’a pas succombé au chantage affectif et à la manipulation. Malgré toutes ses afflictions liées entre autres à ses origines, elle a su trouver une force dans sa foi musulmane pour se rattacher à la vie. La danse lui a aussi servi d’exutoire vu que Riaz est une adepte des films bollywoodiens. On apprend d’ailleurs l’histoire dans son ouvrage de l’industrie de ce cinéma.

On perçoit chez l’autrice une grande intelligence, sensibilité et lucidité. L’autobiographie co-écrite avec Claire Larquemain est prenante et se lit très rapidement avec grand intérêt. L’auteure nous plonge dans un tout autre univers. Les lecteurs ne pourront être indifférents à ce récit écrit par une jeune issue de la première république islamique dirigée par une femme, Benazir Bhutto et du pays ayant donné naissance à la plus jeune activiste lauréate du prix Nobel de la paix Malala Yousafzai.

L’histoire de Riaz est à la fois unique et universelle. La lutte des femmes est malheureusement interminable partout dans le monde. On a observé par exemple ce qui s’est passé en 2022 avec l’arrêt Roe c. Wade aux États-Unis. Le Dr Martin Luther King disait que l’injustice n’importe où représentait une menace pour la justice partout. Il en est de même pour les femmes qui donnent la vie et qui méritent d’être défendues, respectées ainsi que protégées.

 

Le livre est disponible sur amazon.ca et .fr

Voir ces entrevues:  https://www.megadiversite.com/md-tv/253-2023-07-28-02-17-17.html